Изображения страниц
PDF
EPUB

vie, dont le vêtement et les manières expriment le détachement de tout ce qui est terrestre et l'oubli du monde? Or,c'est un fait consigné à la fois dans l'histoire de la vraie religion et dans celle des religions fausses. Un moyen si puissant de s'attirer l'estime et le respect n'est pas resté inconnu à l'imposture; la licence et la corruption, avides de faire fortune dans le monde, ont senti plus d'une fois la nécessité impérieuse de se déguiser sous le manteau de l'austérité et de la pureté. Ce qui, au premier coup d'œil, pourrait paraître le plus contraire à notre cœur, et le plus repoussant pour nos goûts, cette ombre de tristesse répandue sur le recueillement et la solitude de la vie religieuse, est précisément ce qui nous enchante le plus et nous attire. La vie religieuse est solitaire et triste: voilà pour quoi elle sera belle, et sa beauté sera sublime rien ne sera plus propre que cette sublimité à ébranler profondément notre cœur, à y graver des impressions ineffaçables. En réalité, notre âme a le caractère d'une exilée; elle n'est affectée que par des objets tristes; il n'est pas jusqu'à la bruyante allégresse qui n'ait besoin d'emprunter à un habile contraste une teinte de mélancolie. Pour que la beauté revête son charme le plus séduisant, il faut qu'une larme d'angoisse coule de ses yeux, que son front se voile d'une pensée de tristesse, que ses joues pâlissent sous un douloureux souvenir. Pour que la vie d'un héros excite en nous un vif intérêt, il faut que l'infortune soit sa compagne, le gémissement sa consolation; il faut que le malheur et l'ingratitude soient la récompense de ses vertus. Voulez-vous qu'un tableau de la nature ou de l'art appellent fortement notre attention, s'empare des puissances de notre âme et les absorbe, il faut qu'un souvenir du néant de l'homme et une image de la mort soient présentés à notre âme : notre cœur doit être sollicité par des sentiments d'une paisible tristesse ; nous voulons voir des teintes sombres sur un monument en ruine, la croix rappelant le séjour des morts, les grands murs couverts de mousse, et indiquant l'antique demeure d'un homme puissant qui, après avoir vécu sur la terre quelques instants, a disparu !

"La joie ne nous satisfait pas, elle ne remplit pas notre coeur; elle l'enivre, le dissipe quelques moments; mais l'homme n'y trouve pas son bonheur, parce que la joie de la terre est frivole, et la frivolité ne peut attacher le voyageur

qui, loin de sa patrie, chemine péniblement dans une vallée de larmes. De là vient que, tandis que la tristesse et les pleurs sont accueillis, nous dirons mieux, sont soigneusement recherchés par l'art, toutes les fois qu'il s'agit de produire dans l'âme une impression profonde, la joie et jusqu'au plus léger sourire sont inexorablement bannis. L'art oratoire, la poésie, la sculpture, la peinture, la musique, ont suivi constamment la même règle, ou, pour mieux dire, ont été toujours dominés par le même instinct. Il fallait certainement un haut esprit et un cœur de feu pour dire, que l'âme est naturellement chrétienne. Dans ce peu de mots, un penseur illustre a su faire entrer les ineffables rapports qui unissent le dogme, la morale et les conseils de cette religion divine avec tout ce qu'il y a de plus intime, de plus délicat et de plus noble dans notre cœur. Eh bien ! connaissez-vous la tristesse chrétienne, ce sentiment austère et élevé qui se peint sur le front du fidèle, comme un souvenir de douleur sur le front d'un proscrit; ce sentiment, qui modère les jouissances de la vie par l'image de la tombe, et illumine la profondeur du sépulcre par les rayons de l'espérance; cette tristesse, si naturelle et si consolante, si grande et si sévère, qui fait fouler aux pieds les diadêmes et les sceptres comme la vile poussière, et mépriser la splendeur et les grandeurs du monde comme une passagère illusion? Cette tristesse, portée à sa perfection, vivifiée et fécondee par la grâce, assujétie à une sainte règle, est ce qui préside à la fondation des instituts religieux, et ce qui les accompagne tant qu'ils conservent la ferveur primitive, reçue de quelques hommes qui furent guidés par la divine lumière et animés de l'esprit de Dieu. Cette sainte tristesse, qui porte avec soi le détachement de toutes les choses terrestres, est le sentiment que l'Eglise veut inspirer et conserver aux Ordres Religieux', lorsqu'elle environne d'une ombre de recueillement et de méditation leurs silencieuses demeures."

Même après ces éloquentes pages de Balmès, nous pouvons citer un passage de l'abbé Besplas; nous l'avons extrait de son admirable Essai sur l'Eloquence de la Chaire :

"Le vrai beau, le véritable sublime est presque toujours dans le sombre : les ouvrages mélancoliques, dit le comte de Bisly, sont ceux qui plaisent et attachent le

tateur de Jésus-Christ, qui a été appelé l'Homme de douleurs.

plus. Eh! pourquoi le sombre a-t-il des droits si forts sur notre âme ? C'est que l'homme, qui sent sa dignité, s'aperçoit qu'ici-bas il n'est point à sa place; pourDepuis la chute de l'homme et son suivi partout par le sentiment de sa gran- bannissement du paradis, toute créatudeur, il ne rencontre que des objets qu'il dédaigne ainsi, chercher à l'étourdir re exhale un chant plaintif, et la natupar les amusements, c'est vouloir le dis- re entière a des accents de douleur. traire dans un noir cachot, où il ne sent Parmi le peuple de Dieu, dans les solique le poids de ses chaînes. Quand il gétudes d'Israël, les harpes prophétiques mit, il est dans l'ordre naturel; se livrant à la joie, il trompe son esprit et son cœur... Nous retrouvons partout l'application de cette vérité. Le plus beau tableau de Rubens, c'est son jugement général ou sa descente de la croix; le plus beau du Poussin, c'est son déluge; le plus bel ouvrage de Milton, son paradis perdu ; de Bossuet, ses oraisons funèbres.'

Dans les "Etudes morales et religieuses," nous lisons les lignes sui

vantes :

"Pour ceux dont les regards restent toujours abaissés vers la terre, la mélancolie devient une amère et stérile tristesse; mais pour ceux qui ne perdent point le ciel de vue, le mélancolique désenchantement des choses d'ici-bas est un grand moyen de perfection, et par conséquent de bonheur.'

ont sans

cesse soupiré et retenti, échos les unes des autres. Sans cesse aussi la lyre des grands poètes a gémi sur tous les points du globe; elle a vibré harmonieusement, mais douloureusement; et chaque âme sympathique a répondu, sur un ton lugubre, les paroles du chantre Iduméen : versa est in luctum cythara mea. (Job. 30, 31.) Oui, il est une tristesse qui n'exclut pas le bonheur; il est une heureuse et salutaire tristesse, qui est l'indice de l'élévation de l'esprit, de la profondeur du cœur, et du sentiment exquis de l'idéal; une tristesse qui est "Saint Dominique, nous dit le P. La- un reflet mystique des rapports intécordaire, était généralement rempli de cet-rieurs et habituels de l'âme avec l'inte mélancolie surnaturelle que donne le sentiment profond des choses invisibles. Quand il apercevait de loin les toits pressés d'une ville ou d'un bourg, la pensée des misères des hommes et de leurs péchés le plongeait dans une réflexion triste, dont le contre-coup apparaissait aussitôt sur son visage. Il passait ainsi rapidement aux expressions les plus diverses de l'amour; et la joie, le trouble et la sérénité, se succédant à tout propos dans les plis de son front, portaient en lui la majesté de l'homme à une incroyable puissance de séduction."

[ocr errors]
[blocks in formation]

visible et l'infini. Au fond de cette tristesse, il y a une volupté inexprimable : c'est le secret des grandes âmes et des

sublimes natures. Mais à tout ce que nous avons dit ou cité à la louange de la tristesse,

"On objectera ces paroles de l'Apôtre : réjouissez-vous tous au Seigneur; et l'on concluera que le bonheur est donc dans la joie. Mais il est facile de répondre à cette objection car ou l'apôtre entend parler d'une joie sensible, ou d'une joie qui réside en la cime de l'âme, et qui est bien souvent imperceptible. De dire qu'il veut parler d'une joie sensible, c'est ce qui ne se peut pas; car ce serait aller contre toute expérience, contre tout ce qui se lit dans la vie des Saints, contre toute la doctrine des Pères de l'Eglise et des Maîtres de la vie spirituelle, et contre l'autorité même de l'Ecriture, en la bouche du même Apôtre, que l'on ferait tomber dans une contradiction manifeste, puisqu'il assure qu'il a souffert outre mesure, et non seulement extérieure

ment, mais qu'il a été dans les angoisses de l'esprit, jusque là même que quelquefois la vie lui était à charge; et cela, non seulement par le désir qu'il avait de voir Jésus-Christ, mais encore par la grandeur de ses peines, qui lui faisait dire, qu'il était ennuyé de vivre. Donc il est manifeste que cette joie continuelle dont il parle, ne peut s'entendre de la joie sensible, qui n'est pas toujours permanente en ce monde-ci. Il parle donc d'une joie qui réside en la cime de l'âme, qui vient d'une abondance de paix que donne la parfaite conformité avec la volonté divine; car l'âme ne voulant que ce que Dieu veut est toujours contente en tout ce qui lui arrive. Or, cette paix ou cette joie est si souvent cachée que non seulement les sens n'y ont aucune part, mais encore la partie raisonnable inférieure. (Marie Boudon, Les Saintes Voies de la Croix, ch. v. Liv. 1. p. 42.")

The path of sorrow, and that path alone,
Leads to the land, where sorrows are unknown;
No traveller ever reach'd that blest abode,
Who found not thorns and briars in his road.

(COWPER.)

So many great,

Illustrious spirits have convers'd with woe,
Have in her school been taught, as are enough
To consecrate distress.

(THOMSON.)

Dearly bought the hidden treasure
Finer feelings can bestow :
Chords that vibrate sweetest pleasure,
Thrill the deepest notes of woe.

(BURNS.)

Notre âme, ici-bas, est comme cet arbre nommé triste, qui ne fleurit que la nuit, et perd ses fleurs au lever du soleil.

Il était dans ces sentiments le poète chrétien qui exhala cette plainte mys

Ce langage peut paraître étrange et obscur à ceux qui ont l'esprit et la joie du monde ; mais il est clair et compré-tique : hensible pour ceux qui ont l'esprit de l'Evangile, et à qui Jésus-Christ a dit vous pleurerez et vous gémirez, et le monde sera dans la joie. Ainsi le chemin du ciel, c'est le chemin de la croix; et la terre est une vallée de larmes.

The way to heaven is through a sea of tears. (QUARLES.)

du cœur humain sont connus, qui connais-
"Il n'y a que Celui à qui tous les replis
se mes gémissemens et mes soupirs : pour-
quoi crîrais-je pour les faire connaître?
sions. Personne ne connaît donc mes gé-
Il n'y a que Lui et moi qui les connais-
missemens, mes vœux et mes soupirs; per-
sonne, hors nous deux, et cela suffit!"
(HERMAN HUGON.

CHAPITRE QUATRIEME.

DE LA RÉVERSIBILITÉ ET SOLIDARITÉ DE LA PRIÈRE, DE LA DOULEUR, DES BONNES ŒUVRES ET DES MORTIFICATIONS VOLONTAIRES.

Nous avons entendu dire mille fois, | tion des bras, des machines, des forces nous entendons dire encore chaque jour, matérielles en général; mais l'action que notre siècle est un siècle d'action; que, dans notre siècle, il faut des hommes d'action. On reconnaît l'action de la parole, de l'éloquence; on reconnaît l'action des livres et des journaux; on reconnaît enfin l'ac

la plus réelle et la plus puissante, quoique insensible et mystérieuse, l'action de la prière, des bonnes œuvres et des austérités volontaires et expiatoires, on la méconnaît, on va même jusqu'à la nier entièrement et cependant, c'est

celle-là qui est le levier invisible, la | par des âmes subjuguant les mauvaises

force occulte, qui remue, révolutionne et change la nature et la société ; c'est celle-là qui opère journellement des prodiges de grâce et de miséricorde; c'est par elle enfin que le monde subsiste: Sanctorum precibus stat mundus. (Rufin. præf. in vitas patrum.)

Ecoutons parler un Solitaire Auvergnat :

tendances de la nature et l'élevant à la pratique des plus sublimes vertus! Le récit ou le spectacle des vies magnifiquement réglées excite ceux qui l'entendent ou qui le voient, à régler la leur. Il n'est pas inutile que quelques hommes dépassent le but dans la pratique du bien; les moins ardens et les plus empêchés reçoivent de cet exemple des forces pour l'atteindre.

"Elevons-nous à d'autres considérations encore. Que les justes protègent le monde devant Dieu contre les mé

"Si notre esprit, moins fasciné par les chants, dont les désordres excitent ses sens, consacrait à l'étude des lois fonda-foudres, c'est une vérité bien intime à la mentales de l'ordre le temps qu'il donne conscience du genre humain, puisqu'il à la frivolité, nous comprendrions mieux l'a toujours et partout confessie. Mais le rôle immense réservé à la prière dans elle est d'une évidence complète aux yeux le gouvernement du monde, et bien certai- du chrétien. Le Seigneur ne déclara-t-il nement nous regarderions d'un autre pas dans l'Ecriture à Abraham qu'il éparœil ceux qui remplissent pour eux et pour gnera la criminelle Sodome, s'il s'y trounous le premier devoir de la créature intelligente...

"Ah! s'il en est si peu qui prient, et si entre ceux qui prient il en est tant qui se montrent indignes d'être écoutés, la société a donc grand besoin d'hommes qui prient sans relâche et s'efforcent leurs bonnes œuvres de faire équilibre à

nos crimes.

par

"Quand donc nous verrons une Chartreuse, une Meilleraye, un Couvent de Carmélites, en un mot, une de ces maisons où l'on donne exclusivement à la prière et aux œuvres de pénitence le temps non nécessaire aux premiers besoins du corps, gardons-nous de dire : à quoi bon ces gens-là ? Disons plutôt : voilà ceux qui, jour et nuit, traitent avec Dieu des destinées du monde... Oui, croyons-le fermement, quand, à force de pourchasser les fainéants qui prient, nous serons TOUS DES HOMMES D'ACTION, c'est à-dire de vrais bipèdes qui ne leveront les yeux au ciel que pour voir s'il fait nuit ou jour, la parole du prophète s'accomplira Dieu froissera l'univers dans ses mains comme un livre usé, et le jettera au feu."

ve tel nombre de vrais fidèles? La réversibilité des mérites n'est-elle pas le dogme fondamental de la foi évangélique ? N'est-elle pas également la raison des prières faites les uns pour les autres ? Alors, ces hommes qui se dévouent, dans la retraite, aux jeûnes, aux veilles, aux oraisons, à de nombreux et continuels travaux, sont les anges de la terre. Ils rachètent par le bien qu'ils pratiquent, le mal qui se fait; leurs mortifications conjurent le courroux céleste; leurs sacrifices sans réserve rendent le TrèsHaut propice. Infirmes à leurs propres yeux, trop souvent infirmes aux yeux du siècle, ils le protégent pourtant, ils préservent de la foudre le monde moral: ce

sont, dans un sens, de vrais paraton

nerres.....

"Agenouilles bien souvent au haut d'une sublime contemplation, ils implorent le ciel pour les nécessités générales, ils écartent plus d'un orage, ils obtiendront plus d'un bienfait; des hommes égarés leur devront la grâce de rentrer dans la foi et les mœurs. Combien aussi, après avoir été le jouet des caprices de leur imagination et des imaginations d'autrui, viendront, dans ces saints asiles, refaire leur esprit et leur cœur, leur conscience et leur conduite. Ils y chercheront "Les hommes de la retraite, qui sem- et trouveront un refuge contre le bruit blent délaisser leurs frères, les servent de tant de vaines disputes, le mécompte d'une manière efficace et dans des intérêts de tant de stériles agitations, et le néant bien précieux. Les sociétés se maintien de tant de folles espérances. Oui, plus nent par les mœurs; quand la corruption d'une âme désabusée, ne croyant plus les gagne, elles fusent vite. Or, quel se- aux promesses de la terre, y viendra respicours puissant pour soutenir et améliorer du côté du ciel, avec la certitude d'y rer les mœurs que l'édification donnée être plus utile aux vrais intérêts de la so

Après ce témoignage, produisons un autre de l'abbé Deguerry :

ciété, en même temps qu'elle assurera ceux si capitaux de son éternité."

"Pour quiconque a quelque sentiment religieux, nous dit un autre auteur, une telle occupation n'est ni oisive ni méprisable. N'est-il pas heureux qu'il y ait des hommes qui prient pour leurs frères, qui s'interposent entre le ciel et nous, qui lèvent les mains sur la montagne, tandis que les autres combattent dans la plaine; qui suppléent à la négligence de ceux-ci ou à la vie agitée de ceux-là; qui expient les fautes et les égaremens de la multitude; qui détournent la colère de Dieu, provoquée par nos passions; qui pleurent entre le vestibule et l'autel, et attirent sur l'Etat et sur les particuliers les secours et les grâces dont nous avons tous besoin."

Disons alors, avec M. d'Esgny, dans son Livre des Saints :

"Nul autre que Dieu ne sait combien de maux sont sauves à l'humanité par les mérites d'une sainte Claire ou d'une sainte Rosalie. Ce que les prières vont chercher de bénédictions au ciel pour les répandre sur la terre, ce que les mortifications peuvent éviter de crimes et de châtimens est un mystère que rien ne trahit ici-bas.

"Vous donc, ô douces vierges du cloître, n'ayez nul regret aux biens et aux amitiés que vous laissâtes dans le monde; ne jetez pas vers lui d'amers souvenirs, de regards humides de pleurs; la solitude est bonne et saura mieux rafraîchir vos âmes que ne feraient les turbulentes ivresses, les joies passagères du siècle. Si le cloître a ses heures de triste isolement et de décourageante uniformité, le monde a bien aussi ses jours de sombre douleur, ses heures d'ennui dévorant, d'écrasante monotonie ; il a ses plaies saignantes, ses revers soudains, ses amitiés trompées, ses honteuses rivalités, ses affreux mécomptes, ses espérances déçues, ses inquiétudes perpétuelles."

Disons encore, avec M. Collombet,

dans sa Vie de Ste-Thérèse :

"Il y a, dans le christianisme, une loi bien touchante et bien consolatrice : c'est que les souffrances et les prières du juste ne satisfont pas seulement pour lui, mais satisfont encore pour le coupable qui, de lui-même, ne peut s'acquitter; c'est que, de tant de larmes et de tant de soupirs répandus au pied de l'autel, de tant de labeurs, de tant de peines, rien n'est perdu, tout retourne à l'humanité.

"C'est pourquoi quelques chrétiens, dont toute la jeunesse s'est paisiblement écoulée dans la vertu et dans l'innocence, et qui n'ont, ce semble, rien à expier pour eux, se sentent saisis d'une immense désir d'expier par leurs propres douleurs les maux de l'humanité entière; puis, alors ils renoncent à toute consolation terrestre; ils vont, loin du bruit des villes et de la vue des hommes, s'enfermer dans d'étroites et obscures cellules, mortifier leur chair par le jeûne et par la discipline, s'ensevelir vivants dans leurs tombeaux, et verser des larmes amères qui ne sont vues que de Dieu. Il y a bien, dans le siècle, des philosophes qui demandent niaisement, à quoi servent ces gens-là? mais il y a, au ciel, des anges qui leur disent courage! qui conversent avec eux, et qui les attendent."

Nous pouvons maintenant laisser parler le P. Lacordaire; après les lignes qui précèdent, il sera mieux compris:

"Le premier de tous les services est le service gratuit et populaire de la douleur. Vous me direz qu'est-ce que cela, le service gratuit et populaire de la douleur? Il est aisé de vous l'apprendre, Messieurs quelle qu'en soit in raison, je ne la cherche pas en ce moment, une somme de douleur pèse sur le genre unrain. Depuis six mille ans, de même qu'il tome be du ciel une certaine quantité de pluie par année, il tombe du cœur de l'homme une certaine quantité de larmes. L'homme a tout essayé pour échapper à cette loi; il a passé par bien des états differents, depuis l'extrême barbarie jusqu'à l'extrême civilisation; il a vécu sous des sceptres de toute forme et de toute pesanteur; mais, partout et toujours, il a pleuré, et, si attentivement qu'on lise son histoire, la douleur en est le premier et le dernier mot. Il en change quelquefois la forme, encore tout au plus, mais il n'en change pas la nature ni la quantité! JésusChrist lui-même, celui qui a fait dans la douleur la plus grande révolution, JésusChrist ne l'a pas beaucoup diminuée ; il en a pris sa part et l'a transfigurée sans la détruire. Faites donc ce que vous voudrez, pensez-en tout ce qu'il vous plaira, soyez riches, puissans, habiles, immortels, heureux enfin; soyez tout cela, j'y consens, mais sachez que, de votre berceau à votre tombe, vous vous mouvez dans un vaste système de douleur, où, fussiez-vous épargués, la douleur est

« ПредыдущаяПродолжить »