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Shakspeare qui, malgré son originalité, a pris partout des intentions et des formes, imite aussi la pastorale italienne du seizième siècle; et il a su fort agréablement représenter ces bergeries idéales que l'Aminte du Tasse avait mises à la mode. Sa pièce intitulée As you like it (Comme il vous plaira) est pleine de vers charmants, de descriptions légères et gracieuses. Molière, dans la Princesse d'Elide, peut donner l'idée de ce mélange de passion sans vérité, et de peintures champêtres sans naturel. C'est un genre faux, agréablement touché par un homme de génie. Quoi qu'il en soit, ces productions si diverses, ces efforts d'imagination si variés, témoignent de la richesse du génie de Shakspeare. Elle n'éclate pas moins dans cette foule de sentiments, d'idées, de vues, d'observations de tout genre, qui remplissent indifféremment tous ses ouvrages, qui se pressent sous sa plume, et que l'on peut extraire de ses compositions même les moins heureuses.

On a fait des recueils des pensées de Shakspeare; on l'a cité à tous própos et sous toutes les formes; et un homme qui a le sentiment des lettres ne peut l'ouvrir sans y retrouver mille choses qui ne s'oublient pas. Du milieu de cet excès de force, de cette expression démesurée qu'il donne souvent aux caractères, sortent des traits de nature qui font oublier toutes ses fautes. Ne nous étonnons donc pas que, chez une nation pensante et spirituelle, ses ouvrages soient comme le fond et la souche de la littérature. Shakspeare est l'Homère des Anglais; il a tout commencé chez eux. Sa diction mâle et pittoresque, son langage enrichi de hardiesses et d'images, était le trésor où puisaient

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les élégants écrivains du siècle de la reine Anne. Ses peintures fortes et familières, son énergie souvent triviale, son imagination excessive et sans frein sont restées le carac+ tère et l'ambition de la littérature anglaise. Malgré les vues nouvelles et la philosophie, le changement des mœurs et, le progrès des lumières, Shakspeare subsiste au milieu de la littérature de son pays; il l'anime et la soutient, comme, dans cette même Angleterre, les vieilles lois, les formes antiques, soutiennent et vivifient la société moderne. Quand l'originalité a diminué, on ne s'est reporté qu'avec plus d'admiration vers ce vieux modèle si fécond et si hardi. L'empreinte de ses exemples, ou même une analogie naturelle avec quelqu'un des traits de son génie, est visible dans les écrivains les plus célèbres de l'Angleterre et celui d'entre eux qui a le privilége d'amuser toute l'Europe, Walter Scotty bien qu'il observe, avec une fidélité d'antiquaire, ces différences de mœurs et de costumes que Shakspeare confondait souvent,doit être rangé dans son école ; il est nourri de son génie; ila, par emprunt et par naturé, quelque chose dei sa plaisanterie,il égale quelquefois son dialogue; enfin, et c'est là le plus beau point de la ressemblance, il a plus d'un rapport avec Shakspeare dans ce grand art de créer des personnages de les rendre vivants et reconnaissables par les moindres détails et de mettre, pour ainsi dire, des êtres de plus dans le monde, avec un signalement qui ne s'efface pas, et que leur nom seul rappelle à la mé moire, qui nos om zotolti ; ja olim nabul. 62.zm x 1, Tairing 40 16 54 llimonui a

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Voilà l'immortel caractère qui, depuis deux siècles, a fait croître et grandir la renommée de Shakspeare. Longtemps renfermée dans son pays, elle est depuis un demisiècle un objet d'émulation pour les étrangers; mais, sous ce rapport, son influencé a moins de force et d'éclat. Copié par systèmé, ou timidement corrigé, il ne vaut rien pour les imitateurs. Lorsqu'il est reproduit avec une affectation d'irrégularité barbare, lorsque son désordre est laborieusement imité par cette littérature expérimentale de l'Allemagne, qui a tour à tour essayé tous les genres, et tenté quelquefois la barbarie comme dernier calcul, il inspire souvent des productions froides et disparates, où le ton de notre siècle dément la rudesse simulée du poëte....? J. Lorsque, même sous la main de l'énergique Ducis, il est réduit à nos proportions classiques et renfermé dans les entraves de notre théâtre, il perd, avec la liberté de son allure, tout ce qu'il a de grand et d'inattendu pour l'imagination. Les caractères monstrueux qu'il invente n'ont plus de place pour se mouvoir. Son action terrible, ses

larges développements de passions ne peuvent s'encadrer dans les limites de nos règles. Il n'a plus sa fierté, son audace; il a la tête attachée avec les fils innombrables de Gulliver. N'emmaillotez pas ce géant; laissez-lui ses bonds hardis, sa liberté sauvage. Ne taillez pas cet arbre plein de jet et de vigueur, et n'ébranchez pas ses noirs et épais rameaux, pour équarrir sa tige dépouillée sur le modèle uniforme des jardins de Versailles.

C'est aux Anglais qu'appartient Shakspeare, et qu'il doit rester. Cette poésie n'était pas destinée, comme celle des Grecs, à présenter en modèle aux autres peuples les plus belles formes de l'imagination; elle n'offre pas cette beauté idéale que les Grecs avaient portée dans les œuvres de la pensée, comme dans les arts du dessin. Shakspeare semblait donc fait pour jouir d'une renommée moins universelle; mais la fortune et le génie de ses compatriotes ont étendu la sphère de son immortalité. La langue anglaise se parle dans la presqu'île de l'Inde, et dans toute la moitié du nouveau monde qui doit hériter de l'Europe. Le célèbre évêque James (1) rapporte, en poussant un cri de douleur, que les enfants du collége hindou et du collége mahométan de Calcutta, auxquels, d'après le principe rigoureux de la tolérance anglaise, on s'abstient de donner aucun enseignement sur les vérités du christianisme, sont élevés dans le culte et l'admiration de Shakspeare, et que souvent, aux distributions annuelles des prix, ces jeunes sectateurs de Brahma ou de Mahomet, sous leur costume

(1) Memoirs of Bishop James.

oriental, déclament en anglais, avec un succès d'enthousiasme, quelques scènes des tragédies du grand poëte.

Quant aux peuples nombreux des États-Unis, qui n'ont eu longtemps d'autre littérature que les livres de la vieille Angleterre, ils n'ont pas encore d'autre théâtre national que les pièces de Shakspeare. On fait venir à grands frais, d'au delà des mers, quelque célèbre acteur anglais, pour représenter aux habitants de New-York ces drames du vieux poëte anglais, qui doivent être si puissants sur un peuple libre; ils y excitent encore plus de frémissements et d'ivresse que dans les théâtres de Londres. Le bon sens démocratique de ces hommes si industrieux et si occupés saisit avec ardeur les pensées fortes, les profondes sentences dont Shakspeare est rempli; ces gigantesques images plaisent à des esprits accoutumés aux plus magnifiques spectacles de la nature, et à l'immensité des forêts et des fleuves du NouveauMonde. Sa rudesse inégale, ses grossièretés bizarres ne choquent pas une société qui se forme de tant d'éléments divers, qui ne connaît ni l'aristocratie ni les cours, et qui a plutôt les calculs et les armes de la civilisation, qu'elle n'en a la politesse et l'élégance.

Là, comme sur sa terre natale, Shakspeare est le plus populaire de tous les écrivains ; il est le seul poëte peut-être dont quelques vers se mêlent parfois dans la simple éloquence et les graves discours du sénat d'Amérique. C'est surtout par lui que ce peuple, si habile et si actif aux travaux matériels, semble communiquer avec cette noble jouissance des lettres qu'il a longtemps négligée. A mesure que le génie des arts s'éveillera dans ces contrées d'un

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