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des situations neuves. Il remplit par l'imagination ces lacunes que laisse l'histoire la plus fidèle, et voit ce qu'elle n'a pas dit, mais ce qui doit être vrai. Tels sont le monologue de Richard II dans sa prison, les détails de son horrible lutte avec ses assassins. Ainsi, dans la pièce absurde et si peu historique de Jean-Sans-Terre, l'amour maternel de Constance est rendu avec une expression sublime; et la scène du jeune Arthur, désarmant par ses prières et sa douceur le gardien qui veut lui crever les yeux, est d'un pathétique si neuf et si varié, que les affectations de langage, trop familières au poëte, ne peuvent l'altérer.

Il faut avouer que, dans les sujets historiques, l'absence des unités (1) et la longue durée du drame permettent des contrastes d'un grand effet, et qui font ressortir avec plus de force et de naturel toutes les extrémités de la condition humaine. Ainsi, Richard III empoisonneur, meurtrier, tyran, dans l'horreur des périls qu'il a suscités contre lui souffre des angoisses aussi grandes que ses crimes, est lentement puni sur la scène, et meurt comme il a vécu, misérable et sans remords. Ainsi, le cardinal Wolsey, que le spectateur avait vu ministre orgueilleux et tout-puissant, lâche persécuteur d'une reine vertueuse, après avoir réussi dans tous ses desseins, frappé de cette disgrâce royale, incurable plaie d'un ambitieux, meurt avec tant de douleur qu'il fait presque pitié. Ainsi, Catherine d'Aragon,

(1) On peut lire, à ce sujet, des réflexions ingénieuses et fortes dans la vie de Shakspeare par M. Guizot, ouvrage remarquable par la sagacité des vues historiques et morales sur l'état de l'Angleterre à l'époque d'Elisabeth.

d'abord triomphante et respectée dans les pompes de la cour, puis humiliée par les charmes d'une jeune rivale, reparaît à nos yeux captive dans un château solitaire, consumée de langueur, mais courageuse, et reine encore; et lorsque, près de mourir, elle apprend la fin cruelle du cardinal Wolsey, elle dit des paroles de paix sur sa mémoire, et semble éprouver quelque joie du moins de pouvoir pardonner à l'homme qui lui a fait tant de mal. Nos vingt-quatre heures sont trop courtes pour enfermer toutes les douleurs et tous les incidents de la vie humaine.

Quant aux irrégularités de Shakspeare, dans la forme même du style, elles ont aussi leur avantage et leur effet. Dans ce mélange de prose et de vers, quelque bizarre qu'il nous paraisse, presque toujours une intention de l'auteur a déterminé le choix entre ces deux langages, d'après le caractère du sujet et de la situation. La scène délicieuse de Roméo et de Juliette, le dialogue terrible entre Hamlet et son père, avaient besoin du charme ou de la solennité des vers il ne fallait rien de cela pour montrer Macbeth causant avec les assassins dont il se sert. De grands effets de théâtre sont attachés à ces passages si brusques, à ces disparates si soudaines d'expressions, d'images, de sentiments; quelque chose de profond et de vrai s'y retrouve. Les froides plaisanteries des musiciens, dans une salle voisine du lit de mort de Juliette, ces spectacles d'indifférence et de désespoir, si rapprochés l'un de l'autre, en disent plus sur le néant de la vie, que la pompe uniforme de nos douleurs théâtrales. Enfin, ce dialogue grossier de deux soldats montant la garde, vers minuit, dans un lieu dé

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sert, l'expression vive de leur effroi superstitieux, leurs récits naïfs et populaires, disposent l'âme du spectateur

à

des apparitions de spectres et de fantômes, bien mieux que ne le feraient tous les prestiges de la poésie.

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Émotions puissantes, contrastes inattendus, terreur et pathétique poussés à l'excès, bouffonneries mêlées à l'horreur, et qui sont comme le rire sardonique d'un mourant: voilà les caractères du drame tragique de Shakspeare, Sous ces points de vue diyers, Macbeth, Roméo, le Roi Lear, Othello, Hamlet présentent des beautés à peu près égales. Un autre intérêt s'attache aux ouvrages dans lesquels il a prodigué les inventions de l'esprit romanesque. Tel est surtout Cymbeline, produit assez bizarre d'un conte de Boccace et d'un chapitre des Chroniques Calédoniennes, mais ouvrage plein de mouvement et de charme, où la clarté la plus lumineuse règne dans l'intrigue la plus compliquée, Enfin il est d'autres pièces qui sont comme les Saturnales de cette imagination si désordonnée et si libre, On admire beaucoup en Angleterre la pièce qu'un de nos critiques a le plus accablée de sa superbe raison, La Tempête paraît aux Anglais l'une des plus merveilleuses fictions de leurs poëtes; et n'y a-t-il pas en effet une énergie créatrice, un mélange singulièrement heureux de fantastique et de comique, dans ce personnage de Caliban, symbole de tous les penchants, grossiers et bas, de la lâcheté servile, de l'abjection ayide et rampante? Et quel charme infini dans le contraste d'Ariel, de ce sylphe aimable ei léger autant que Caliban est pervers et difforme! Le personnage de Miranda appartient à cette galerie de portraits

et

féminins si heureusement dessinés par Shakspeare; mais cette innocence native, nourrie dans la solitude, le distingue et l'embellit.

Aux yeux des Anglais, Shakspeare n'excelle pas moins dans la comédie que dans la tragédie. Johnson trouve même ses plaisanteries et sa gaieté bien préférables à son génie tragiqué. Ce dernier jugement est plus que douteux; et, sous aucun rapport, il ne peut devenir l'opinion des étrangers. On le sait, rien ne se traduit, ne se fait entendre dans une autre langue, moins aisément qu'un bon mot. La vigueur mâle et forcenée du langage, les éclats terribles et pathétiques de la passion retentissent au loin; mais le ridicule s'évapore, et la plaisanterie perd sa force ou sa grâce. Cependant les comédies de Shakspeare, pièces d'intrigue plutôt que peintures de moeurs, conservent presque toujours, par le sujet même, un caractère particulier de gaieté. Du reste, nulle vraisemblance, presque jamais l'intention de mettre la vie réelle sur la scène ; et cela, pour le dire en passant, nous expliqué comment un célèbre enthousiaste de Shakspeare accuse dédaigneusement notre Molière d'être prosaïque, parce qu'il est trop vrai, trop fidèle imitateur de la vie humaine; comme si copier la nature était le plagiat d'un esprit médiocre. ei, hå

Shakspeare n'a pas ce défaut dans ses comédies : une complication d'incidents bizarres, une exagération, unę caricature presque continuelle, un dialogue étincelant de verve et d'esprit, mais où l'auteur paraît plus que le personnage; voilà souvent ses effets comiques. A la fantasque bouffonnerie du langage, au caprice des inventions, on

dirait quelquefois Rabelais faisant des comédies. L'originalité de Shakspeare se montre toujours dans ses pièces comiques. Timon d'Athènes est une des plus piquantes : elle a quelque chose du feu satirique d'Aristophane et de la malignité de Lucien. Un ancien critique anglais dit que les Commères de Windsor sont peut-être la seule pièce dans laquelle Shakspeare se soit donné la peine de concevoir et d'ordonner un plan. Il y a jeté du moins beaucoup de feu, de verve et de gaieté; il s'est rapproché de l'heureux prosaïsme de Molière, en peignant de couleurs expressives les mœurs, les habitudes et la réalité de la vie.

Aucun personnage des tragédies de Shakspeare n'est plus admiré en Angleterre, et n'est plus tragique que celui de Shylock dans la comédie du Marchand de Venise. La soif inextinguible de l'or, la cruauté avide et basse, l'âpreté d'une haine ulcérée par les affronts, y sont tracées avec une incomparable énergie; et l'un de ces caractères de femmes si gracieux sous la plume de Shakspeare jette dans ce même ouvrage, au milieu d'une intrigue romanesque, le charme de la passion. Les comédies de Shakspeare n'ont point de but moral elles amusent l'imagination, elles piquent la curiosité, elles divertissent, elles étonnent; mais ce ne sont point des leçons de mœurs plus ou moins détournées. Quelques-unes d'entre elles pourraient se comparer à l'Amphytrion de Molière; elles en ont souvent la grâce, le tour libre et poétique. C'est à ce caractère de composition qu'il faut rapporter le Songe d'une nuit d'été, pièce inégale, mais charmante, où la féerie fournit au poëte un merveilleux plaisant et gai.

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