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après cette dernière humiliation, Anne Boleyn fut amenée, un peu avant midi, sur le gazon de l'intérieur de la Tour; les ducs de Suffolk et de Richemond, le lord-maire, les shérifs et les aldermen, ainsi qu'une députation de chacune des corporations, se trouvaient présents.

La veille au soir, après s'être confessée et avoir reçu la sainte communion, elle s'était jetée aux pieds de lady Kingston, femme du lieutenant de la Tour, pour la supplier d'aller, lorsqu'elle ne serait plus, se mettre pareillement aux genoux de la princesse Marie pour implorer son pardon. Maintenant on s'attendait qu'elle allait protester de son innocence; mais, s'étant tournée vers ces témoins qui naguère avaient assisté à son élévation au rang suprême, elle se contenta de leur dire qu'elle venait pour mourir selon la loi, et qu'elle ne voulait rien dire contre cette loi ni accuser personne; qu'elle priait Dieu de protéger le roi, qui avait toujours été pour elle un prince bon, aimable et gracieux. Elle leur demanda ensuite de prier pour le salut de son âme; puis, s'agenouillant avec courage, elle pencha la tête sur le billot et reçut le coup de la mort. Son corps fut enfermé dans un coffre de bois d'orme, et inhumé dans la chapelle de la Tour, où l'on voit encore aujourd'hui la hache qui servit à lui trancher la tête.

Il est impossible de n'être pas touché de la triste fin de cette infortunée reine, et de ne pas être frappé de la similitude qui existe entre les fautes de sa courte vie et les maux qui la terminèrent. A cause d'elle, sous prétexte de parenté à un degré prohibé entre époux, Catherine d'Aragon fut forcée de comparaître devant les lords, et, au mépris de toute bonne foi, lady Marie, sa fille, fut déclarée inhabile à succéder au trône. Anne fut amenée devant les mêmes juges, non environnée de l'éclat d'une vie vertueuse, mais courbée sous le poids des accusations les plus flétrissantes.

Thomas Morus et l'évêque de Rochester avaient péri par elle, et comme eux, son sang coula à la même place où fut versé le leur: heureuse cependant d'avoir mérité par son repentir et sa résignation le pardon de cette Église qu'elle avait si cruellement déchirée, et d'avoir pu se réfugier, en quittant la terre, dans l'immensité de la clémence divine.

LA PRINCESSE DE CRAON.

Après le caractère de la reine Catherine, le caractère le plus puissamment dessiné est celui de Wolsey. Prévoyant déjà sa disgrace, il fait éclater ainsi son désespoir :

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« Il (le roi) m'a quitté avec un regard menaçant : tel est le >> regard que lance le lion irrité sur le chasseur téméraire qui >> l'a blessé ; puis il l'anéantit. J'ai atteint le faite de mes » grandeurs; et, de ce plein midi de ma gloire, je me précipite >> maintenant vers mon déclin : je tomberai, comme une bril>>lante exhalaison du soir, et personne ne me reverra plus. >>>

Quelle majesté ! quel pathétique dans le discours que le cardinal adresse à son favori, Cromwell!

« Cromwell, je ne croyais pas répandre une larme dans tous >> mes malheurs; mais tu me contrains par ta généreuse fidé» lité à m'attendrir comme une femme. Séchons nos pleurs, >> et prête-moi l'oreille encore une fois, Cromwell. Quand mon » nom sera dans l'oubli, et il y sera bientôt; lorsque je repo>> serai dans la froide tombe, et qu'on ne parlera plus de moi, >> dis ce que je t'apprends; dis que Wolsey, qui traversa au>>trefois l'océan de la gloire, et sonda tous les abîmes et tous » les écueils de la grandeur, te traça dans son naufrage une >> route pour voguer heureusement, une route sûre et infail>> lible, quoique ton maître l'ait méconnue. Observe bien ma >> chute, et ce qui a causé ma ruine. Cromwell, je te le recom>> mande, repousse l'ambition; ce vice a perdu les anges: >> comment l'homme, image de son Créateur, pourrait-il es>> pérer dans cette voie quelque succès? Aime-toi moins que >> tous les autres; protége ceux qui te haïssent; la corrup>>tion a moins d'empire pour gagner les cœurs que la vertu. » Montre toujours une douce affabilité afin de réduire au si>> lence la voix de l'envie. Sois juste et ne crains rien que le >> but de toutes tes actions soit l'intérêt de ton pays, de ton » Dieu et de la vérité: alors, si tu succombes, Cromwell, tu >> succomberas en glorieux martyr. Sers ton prince.

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Viens avec moi; fais l'inventaire de tout ce que » je possède, jusqu'à la dernière pièce de monnaie; tout appar>> tient au roi; ma robe et mon intégrité devant le ciel, voilà >> tout ce que j'ose maintenant appeler ma richesse. O Crom» well, Cromwell ! si j'avais seulement servi mon Dieu avec la

» moitié du zèle que j'ai mis au service de mon roi, il ne m'au>> rait pas, dans ma vieillesse, livré sans défense à mes enne>> mis. >>>

Le monologue exquis du cardinal au moment de sa disgrâce suffirait pour attester la supériorité du génie de Shakspeare, quand il n'aurait jamais écrit d'autres vers. C'est une belle peinture philosophique de l'ambition déchue, ramenée à la réflexion par un revers mérité de fortune.

<«< Adieu, éternel adieu à toute ma grandeur! Voilà bien le >> sort de l'homme! Aujourd'hui il se pare des tendres feuilles » de l'espérance; demain il fleurit et s'épanouit, fier de son » éclat vermeil le surlendemain arrive un orage, un orage >> assassin; et, tandis qu'il se flatte, l'homme crédule, que sa » tige grandie n'a plus rien à craindre, les frimas sèchent sa ra>> cine, et il tombe, ainsi que je tombe moi-même. Comme >> l'enfance imprudente qui se confie à un frèle soutien, je me >> suis embarqué, il y a quelque temps, sur la mer de la >> gloire, sans consulter mes forces: à la fin l'esquif où vo>> guait mon orgueil s'est entr'ouvert sous moi, et m'a exposé, >> vieux et usé par les fatigues, à la merci d'un impétueux cou» rant qui va m'engloutir pour toujours. Vaine pompe et » gloire du monde, que je vous hais! Je sens mon cœur sai>> gner de sa blessure. Oh! combien je plains le malheureux >> qui attend son bonheur du sourire des princes! Il y a entre >> cette faveur à laquelle il aspire, cet aspect flatteur des rois >> et sa ruine, plus d'alarmes et d'angoisses que n'en ont la >> guerre et l'amour; et quand il tombe, il tombe comme Lu>>cifer, sans espoir de se relever jamais. »>

LE ROI LÉAR.

TRAGÉDIE.

Léar, roi de la Grande-Bretagne, a trois filles; deux sont mariées, l'une au duc de Cornouailles, l'autre au duc d'Albanie. La troisième est demandée par Aganippus, roi de France, et par le duc de Bourgogne. Se sentant déjà vieux, Léar prend la résolution de partager ses États entre ses enfants, et de finir en paix ses derniers jours. Mais auparavant il veut connaître laquelle de ses filles a le plus d'amour pour lui, et il interroge chacune d'elles à cet égard. Les deux aînées, Goneril et Régane, prodiguent au vieillard les plus flatteuses paroles; elles exagèrent un sentiment qu'elles sont loin de ressentir. Cepen dant Cordelia, la plus jeune des trois, tendre, mais sincère, ne sait comment exprimer avec des paroles la vérité de son filial amour, à son père étonné et qui lui fait ce reproche : Quoi! si jeune et si peu tendre! elle ne sait que répondre : Oui, mon père; jeune et vraie. Cette noble simplicité irrite le vieillard, qui déshérite Cordelia, et partage son royaume entre Goneril et Régane, ne réservant pour lui que cent chevaliers qui doivent garder sa personne, et vivre alternativement aux frais des deux cours de Cornouailles et d'Ecosse. Quant à Cordelia, repoussée par le duc de Bourgogne, depuis qu'elle est sans dot, elle suit le roi de France qui consent à la prendre pour femme. Léar est bientôt puni cruellement de son injuste préférence. A peine supporté à la cour de ses deux filles, il voit son escorte réduite de moitié, et ses fidèles compagnons en butte à tous les outrages. Indigné de tant de bassesse et d'ingratitude, il quitte la cour, et reste sans demeure dans ce vaste royaume qui naguère obéissait à sa voix. Exposé aux coups de la tempête, il s'en va errant au milieu des forets; enfin, accablé sous le poids d'une si grande infortune, il perd la raison. Alors Cordelia, la tendre et simple fille, vole au secours de son père; elle prend

soin de sa misère, elle cherche à le guérir de son égarement. De plus, elle guide au combat ses amis fidèles contre les troupes de l'infame Goneril; mais, abandonnée par la fortune, Cordelia vaincue tombe au pouvoir de l'amant de sa sœur, qui la fait étrangler. Léar expire de douleur aux pieds de sa fille. Quant à Régane et Goneril, éprises l'une et l'autre du même homme, elles s'empoisonnent mutuellement.

Telle est cette funèbre légende que Shakspeare a illustrée de son génie; elle est empruntée aux traditions historiques populaires de la Grande-Bretagne. Un chroniqueur latin, Geoffroi de Monmouth; un trouvère français, Wace; un chanteur de ballades anglaises dont le nom est inconnu, ont écrit cette histoire avant Shakspeare (1). Ils ont tous raconté le fait ; mais aucun d'eux n'a su, comme le poëte anglais, mêler à ce fait les différentes passions de la nature humaine. Aucun d'eux surtout n'a détaché de ce terrible et sombre récit la touchante et noble figure de Cordelia; Shakspeare seul a compris toute la grandeur de cette enfant sublime, et, pour bien nous la peindre, quelques traits lui ont suffi. Il nous fait connaître, en commençant le premier acte, le caractère de Cordelia; en peu de vers, il le distingue des autres. Pendant l'action, toute la scène est livrée aux deux méchantes sœurs, à leurs faibles et tristes maris, à leur amant perfide et cruel, au roi Léar égaré, succombant sous son affreux désespoir. Puis, quand toutes ces figures hideuses, repoussantes, ou dignes de pitié, ont agité notre âme, nous voyons la douce, la bonne, la simple Cordelia qui abandonne un tròne, un époux, et qui vient soutenir et rappeler à la raison son vieux père infortuné. On a quelquefois comparé le caractère de Cordelia à celui de l'Antigone du théâtre grec. On a remarqué avec raison que ces deux conceptions poétiques étaient l'expression du même sentiment, c'est-àdire de l'amour filial dans ce qu'il a de plus pur, de plus élevé. Il faut ajouter qu'entre l'Antigone de Sophocle et la Cordelia de

(1) Godofridus Monemutensis, Historia Britonum, libri septem. Lutetiæ Parisiorum, J. Badius, 1507, in-4o. - Le Roman de Brut, par Wace, poëte du x11° siècle, publié pour la première fois par le Roux de Lincy. Rouen, Ed. Frère; 2 vol. in-8°, tom. 1, p. 81. Reliques of Ancient English Poetry, etc., by Percy, etc., the sixth edition, in four volumes. London, 1823, in-12; vol. 2, p. 37.

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