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admis au conseil des dieux; il discourait sur leur nature,

assistait à leurs délibérations, et, sans être accusé d'impiété ou de présomption, divulguait leurs dissensions, faisait connaître leurs faiblesses et leurs vices; il peuplait les bois de nymphes, et les fleuves de divinités particulières, et, pour qu'il put toujours avoir quelque être divin à appeler à son secours, il avait placé l'Écho dans les régions de l'air.

Dans l'enfance du monde, l'ignorance crédule recevait avec avidité tous les contes merveilleux; mais, à mesure que les hommes, devenus moins grossiers par la civilisation, acquirent des connaissances, et lorsqu'une longue série de traditions eut établi une certitude mythologique et historique, il ne fut plus permis au poëte de s'égarer sans contrôle dans le vaste champ de l'imagination; il fut obligé de se restreindre dans les limites des choses crues ou connues, et, quoique le devoir du poëte fût toujours de plaire et d'intéresser, ses moyens varièrent avec l'âge du monde, et, dans ses nouvelles inventions, il fut obligé de se conformer aux vieilles traditions. L'esprit humain aime la nouveauté et se laisse captiver par le merveilleux; mais, dans la fable même, il préfère ce qui est croyable. Le poëte qui peut donner à de brillantes inventions et à des fictions neuves et hardies l'air et le caractère de la réalité, et l'autorité du vrai, est sûr de captiver les suffrages de la postérité.

Recourir, comme font quelquefois les savants, à la mythologie et aux fables des autres temps et des autres pays, est toujours d'un pauvre effet. Jupiter, Minerve et Apollon n'embellissent plus l'histoire moderne que comme des médaillons qui ornent un frontispice; nous admirons l'art du sculpteur qui sait donner de la grâce et de la majesté à ces figures; mais nous restons froids et sans enthousiasme devant des personnages dont nous ne reconnaissons plus la divinité. Quand les temples païens cessèrent d'être révérés, et que le mont Parnasse fut désert, il fut alors difficile aa poëte de conserver intacte la divinité de sa muse. Tant qu'il y a quelque superstition nationale que la crédulité a consacrée, quelque tradition vulgaire et longtemps révérée, le poëte peut recourir à cette ressource, et se réfugier dans ce sanctuaire; qu'il marche avec respect sur ce sol sacré, qu'il adopte religieusement la croyance établie, qu'il observe exactement les rites accoutumés, et qu'il respecte les attributs de l'objet en vénération,

alors il n'invoquera pas en vain une divinité absente et inexorable.

Les sorcières, les fées, les esprits, les spectres, furent d'un grand secours à Shakspeare, et donnèrent à ses fictions autant de sublime et de merveilleux, que les nymphes, les satyres et les faunes aux ouvrages des poëtes anciens. Le nôtre ne place pas ses êtres surnaturels au delà des limites de la tradition populaire; aussi judicieux que hardi, il sait se maintenir dans de justes bornes; il donne aux personnages qu'il évoque un langage, un caractère qui leur conviennent et qui sont en parfait accord avec les idées admises; ses fées sont ou «< des esprits >> bienfaisants, ou des esprits damnés qui empruntent leurs qua>> lités bienfaisantes au ciel, ou leur maligne influence à l'enfer.» Ses spectres sont chagrins, mélancoliques, effrayants. Les sentences de ses sorcières sont une prophétie ou un charme; les cérémonies de leurs enchantements sont ce qu'il y a de plus horrible. Ariel est un esprit doux, pacifique, ayant un pouvoir surnaturel, mais soumis à un grand magicien. Ses fécs sont gaies et enjouées; leurs fraudes sont innocentes, leurs tromperies badines; l'énumération que fait Puck de leurs fêtes est le récit le plus agréable des jeux auxquels elles se livrent.

Les sorcières tenant leur sabbat sur la bruyère desséchée, à la clarté de la lune, les spectres murmurant des paroles de sang, tirent de la propriété du lieu et de l'action même, un degré de crédulité très-favorable aux plans du poëte, et le reddere persona convenientia cuique (conserver à chacun son propre caractère) n'est pas moins un devoir pour lui à l'égard de ces personnages métaphysiques et supérieurs, qu'à l'égard des personnages humains.

Le magicien Prospero excitant une tempête, des sorcières pratiquant des cérémonies infernales, étaient des circonstances que le vulgaire admettait aisément.

Les histoires populaires concernant le pouvoir des magiciens sont agréablement rappelées dans le discours de Prospero. Les enchantements des sorcières dans Macbeth sont plus solennels et plus terribles que ceux de l'Erichtho de Lucain et de la Canidie d'Horace. On peut dire en effet que Shakspeare a sur ses devanciers un avantage qu'il tire du caractère même des superstitions nationales. Walpole a fait observer que les mœurs et les superstitions gothiques sont mieux adaptées aux usages de

la poésie que celles des Grecs, et il ne manque pas de preuves pour justifier son assertion. Comme les bardes, qui étaient les poëtes et les philosophes de leur temps, prétendaient posséder seuls les noirs secrets de la magie et de la divination, ils encourageaient l'ignorante crédulité du peuple, et entretenaient cette crainte salutaire à laquelle ces nobles imposteurs devaient leur succès et leur crédit. Les pratiques les plus solennelles de leur dévotion, leurs scènes mystérieuses, l'austérité et la rigueur de la discipline et de la juridiction druidique, les anathèmes terribles dont l'effet poursuivait le coupable jusqu'au delà du tombeau, terme où finit tout pouvoir humain, tout cela devait imprimer profondément dans l'esprit des peuples grossiers les croyances superstitieuses. Les bardes, qui étaient au service des druides, les avaient mêlés à leurs chants héroïques, dans leurs annales historiques, dans leurs pratiques médicales; les génies aidèrent les héros; les démons décidèrent du sort des batailles; les charmes guérirent les maladies et les blessures; et, quand les grottes sacrées furent détruites et les autels druidiques démolis, les fables qui y avaient pris naissance se conservèrent religieusement dans l'esprit des peuples. Le poëte se trouva heureusement placé au milieu des enchantements, des esprits et des spectres. Chaque élément était la résidence d'une divinité particulière; le génie de la montagne, l'esprit du fleuve, le chêne qui avait le don de prophétie, tenaient les hommes dans une crainte continuelle de puissances invisibles au pouvoir desquelles rien ne pouvait résister. Les spectres irrités se promenaient sanglants sur les montagnes et dans les bois, tandis qu'au milieu des scènes les plus gaies et les plus agréables, même dans les habitations les plus riantes, et jusque dans les villages et dans les fermes, les fées et les lutins se livraient à mille jeux folatres.

On peut voir aisément par là quel parti le poëte pouvait tirer de pareilles ressources. La scène générale de la nature, considérée comme inanimée, ne sert qu'à orner la partie descriptive de la poésie; mais, étant animée de toutes les fictions traditionnelles de la mythologie celtique, le barde pouvait mieux la faire servir à son but moral. Cette crainte de la présence immédiate de la divinité qui, chez le vulgaire des autres nations, se bornait exclusivement aux temples et aux autels, était ici répandue sur tous les objets. Le Celte ne passait qu'en trem

blant à travers les bois, sur les montagnes et près des lacs, qu'il croyait habités par des puissances invisibles. Le murmure des flots, une horreur plus sombre se répandant sur les forêts, devaient enfanter des craintes plus grandes, donner des accents plus tristes à chaque bruit des objets animés ou inanimés, et prêter des terreurs à chaque ombre. C'est donc avec raison qu'on a prétendu que les bardes de l'Occident avaient un avantage sur Homère, quant à leur manière de traiter leurs fictions. Les cérémonies religieuses de la Grèce étaient plus pompeuses que solennelles; elles paraissent avoir fait partie de leurs institutions civiles autant que des affaires spirituelles; elles n'inspiraient pas de la Divinité un sentiment aussi profond, ne préparaient pas l'esprit à partager l'enthousiasme du poëte, ou à recevoir ses ingénieuses fictions.

Le poëte anglais a un autre genre de supériorité sur les poëtes grecs, qui, imbus de la science des Égyptiens, s'étaient abandonnés à l'allégorie. Shakspeare, au lieu d'une fiction purement amusante, se sert des agents puissants de la fable sacrée; il leur donne tant de grandeur, il les entoure d'un mystère si profondément effrayant, que, bien que les idées superstitieuses sur lesquelles repose son système aient disparu, la terreur que fait éprouver de nos jours la lecture ou la représentation de Macbeth est presque aussi grande qu'elle l'était à l'époque où la pièce parut pour la première fois.

Quand il fait parler ses magiciennes entre elles, il met dans leur bouche un langage si particulier, si mystérieux, qu'il les rend des objets dignes de terreur et d'effroi. Lorsqu'il les représente tournant autour de leur chaudière magique dans le réduit obscur d'un caveau, et procédant à leurs incantations; quand on les entend chanter sur un ton sauvage qui ne ressemble à rien de terrestre, et que leurs voix se mêlent au bruit du tonnerre; lorsque des feux rougeâtres et souterrains viennent projeter une lueur blafarde sur leurs traits hagards, les paroles qu'elles font entendre semblent alors sortir de l'enfer, et nous reculons d'effroi comme devant des êtres ennemis de l'humanité.

Les fées de Shakspeare ont été nommées avec raison les enfants de prédilection de son esprit romantique, et peut-être dans aucune partie de ses ouvrages il n'a montré, comme dans le Rêve d'une Nuit d'été, un pinceau plus créateur et à la fois

plus fantastique, un ton d'enthousiasme plus élevé qu'en prétant une forme à ces riens aériens. Quoi de plus délicieux en effet que ces caractères donnés à des êtres qu'il évoque du trésor de son imagination, entourant ces enfants de la nuit des flots d'une lumière douce et pure, et les ornant des attributs de la bienveillance et de la douceur; car non-seulement il n'admet pas les fées d'une nature malfaisante, mais il donne à celles qu'il adopte un caractère de douceur plus séduisant; il leur prête une gaieté plus enchanteresse, une plus grande bonté que ne l'ont fait les poëtes qui l'ont précédé.

Le laboureur dans son asile,

Oublieux du temps qui s'enfuit,

Dort, heureux qu'un sommeil tranquille

L'empêche de compter minuit;

C'est l'heure où le feu, sous la cendre,

Brille et se ranime soudain ;
L'Esprit follet, l'adroit Robin,
Sur le foyer vient de descendre.

La lune est voilée à demi;

Le loup hurle dans les ténèbres;

Des vieux cimetières ami,

Le hibou, sur leurs murs funèbres,
Gémit; à peine dans les airs
Glissent ses notes fugitives;
Les ombres s'échappent plaintives

Du sein des tombeaux entr'ouverts.

Alors sur la grève des mers,
Dans les clairières du bois sombre,
Près des joncs qui bordent sans nombre
La rive des étangs déserts,

Le peuple aérien des fées,
Mystérieuses coryphées

Des chants magiques de la nuit,
S'éveille et s'assemble sans bruit ;

Leur danse, inconnue aux profanes,
Dans ses rapides mouvements
Fait bientôt, en plis diaphanes,
Flotter leurs légers vêtements.
Le pâtre égaré dans la plaine,
Dont l'œil fatigué se promène
Sur ces brillantes visions,

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