de femmes qui ont besoin de nuances. Émilie, Pulchérie, Viriate, Rodogune, toutes ces adorables furies n'ont rien, pour ainsi dire, qui les distingue des hommes. Il reste cependant à Corneille Chimène et Pauline on se contenterait à moins. >> Les caractères de femmes de Racine se réduisent aussi à deux ou trois types qu'il affectionne. D'un côté, Junie, Iphigénic, Monime, Aricie, Esther; de l'autre, Hermione, Roxane. L'amour maternel ajouté à l'un ou à l'autre de ces types vous donnera Andromaque ou Clytemnestre. Phèdre est un admirable développement de passion plutôt qu'un caractère; car, à part cette passion, vous ne savez rien d'elle, et pas un trait ne vous la ferait reconnaître. Une seule femme est peinte avec détail dans Racine; c'est Agrippine: celle-ci est une figure complète que vous ne confondrez avec nulle autre, ce n'est pas une reine quelconque, c'est une Romaine de l'empire, c'est la mère de Néron. Moltère, plus grand peintre qu'eux tous, n'a pu cependant, du point de vue où il était placé, nous montrer que la femme telle que la société nous l'a faite, telle que le monde nous la laisse voir. >> Mais comme ses portraits sont à la fois finement et fortement touchés! comme ils sont nationaux surtout, comme à tous les rangs de l'échelle sociale, c'est bien la femme française qu'il a représentée! Qui de nous n'a retrouvé dans quelque salon la froide et sèche coquetterie de Célimène, la sagesse mondaine d'Elmire, la raison fine et moqueuse d'Henriette? On reconnaîtrait de même, dans plus d'un ménage d'ouvrier, la femme de Sganarelle, les servantes d'Argant ou d'Orgon, dans nos cuisines et dans nos antichambres; les paysannes de Don Juan dans nos villages. Shakspeare n'a sur lui que l'avantage d'une création plus vaste, d'une vérité plus générale. Parmi cette immense galerie féminine, où le sexe tout entier est représenté dans toutes ses variétés, qui n'a distingué la noble et chaste figure de Porcia? Porcia, la fille de Caton, la femme de Brutus, digne à la fois d'un tel père et d'un tel époux ! >> Porcia est vraiment la femme forte, non telle que la représentent des peintures outrées ou fantastiques, mais telle qu'elle est en réalité, forte sans cesser d'être femme. La supériorité d'intelligence n'exclut point chez elle le besoin d'affection, mais d'une affection qu'elle rougirait d'éprouver et d'inspirer, si elle n'était fondée sur une estime sans bornes. Égale à son mari en fermeté d'ame, capable comme lui de se dévouer à une idée, cette fermeté, ce dévouement conservent néanmoins le caractère de son sexe : Brutus est dévoué à sa propre idée, c'est à l'idée de Brutus que Porcia se dévoue. Aussi, comme elle est avide de la counaître, combien ce mystère qu'on lui fait lui paraît injuste et offensant, car la confiance de Brutus, c'est son patrimoine à elle, son bien le plus cher; il ne peut l'en priver sans lui faire injure. N'est-elle point « sa femme fidèle et >> honorée?» et ne sait-elle pas que celle-là seulement est la femme de Brutus, qui a part à ses pensées? Aussi, comme elle l'implore cette part qui lui est due! Eh bien, de cette paix goûte l'enchantement! Je ne troublerai point, quelque ennui qui me presse, Nos rêves inquiets, nos projets soucieux, Tu peux dormir!... PORCIA entre. Seigneur ! Porcia, vous ici ? Brutus. Porcia. Brutus. A l'air froid du matin par la brume épaissi N'espérez point, Brutus, que je vous laisse Le jour il vous contraint d'abandonner la table; A toute heure, en tout lieu, sans eesse il vous accable. Moi? je souffre; un mal secret m'obsède, Porcia. On vous verrait alors en chercher le remède; Brutus. Vous ne le faites point. Demeurez sans effroi. Rentrez, ma Porcia, rentrez et laissez-moi. Porcia. - Vous, malade !... Et je vois votre tête exposée, Non, non, 2 Si ce n'est par amour, parlez-moi par pitié ; Et de sombres manteaux me cachaient leur visage! Brutus. — De grâce, levez-vous, cessez un tel langage. Porcia. Eh! pourquoi me forcer vous-même à l'employer? Devrais-je être, Brutus, réduite à vous prier? Si le sort à la vôtre a joint ma destinée, Au plaisir de vos yeux il ne l'a point bornée; S'il ne me veut donner de part qu'à ses plaisirs, Douterez-vous encor, Brutus, me croirez-vous Brutus. —Vous?... Dieux, qui l'entendez, rendez-moi digne d'elle ! De ces tristes secrets va partager le poids. Apprends donc... Mais quel est ce bruit confus de voix? >> Mais quand ses instances ont enfin arraché du cœur de son époux le secret qu'elle sollicite, elle a peine à le porter; trop vaste et trop lourd pour elle, il lui échappe de toute part; car, << avec l'âme d'un homme, elle n'a que la force d'une femme, »> cette force assez grande pour la conduire à s'ôter la vie, et qui ne l'est pas assez pour lui faire supporter l'absence de Brutus et la perte de ses espérances. » Et de quelle admirable manière Shakspeare nous fait comprendre la profonde affection de Brutus pour une femme si digne de lui, et la poignante douleur que lui cause sa mort tragique! Brutus, le noble, le stoïque Brutus, se montre dur et injuste pour la première fois, il accable son ami Cassius de reproches amers et violents; il se plaît à l'irriter par une dédaigneuse ironie; on est surpris et affligé de cette métamorphose qu'on ne peut s'expliquer; seulement on sent instinctivement qu'au fond de l'âme de Brutus se passe quelque chose d'étrange et de terrible, et quand ce mot, Porcia est morte! arrivé si péniblement de son cœur à ses lèvres, nous révèle tout à coup le secret de cette amère souffrance, nous poussons avec Cassius un cri de surprise et de douleur, et nous sentons qu'à sa place nous nous serions écrié comme lui: Et tu ne m'as pas tué! >> Parmi ces couples assortis par Shakspeare, pour représenter les divers caractères de l'amour à leur plus forte puissance, Juliette et Roméo, Othello et Desdemona, Antoine et Cléopâtre, Porcia et Brutus, ces derniers m'ont toujours paru la vraie personnification de l'amour conjugal. Tous deux sont faits l'un pour l'autre ; il est l'homme de cette femme, comme elle est la femme de cet homme, sa moitié, dans toute l'acception du mot aussi, comme elle le suit dans la vie, comme elle le précède dans la mort. Porcia, c'est la femme-épouse, unie à l'homme pour qui ce titre n'est point un vain mot, celle que la soumission n'avilit point, parce qu'elle est chez elle intelligente et volontaire, sanctifiée par l'affection, ennoblie par l'idée du devoir. Ce caractère répond aux sympathies d'une partie de son sexe qui la reconnaît pour sœur, nobles âmes qui ont compris la mission de la femme, sur cette terre, dans toute sa force et sa dignité, et dont le type se perpétue de siècle en siècle, à travers toutes les transformations des mœurs et des idées, pour attester la fidélité de leur image. Lady Russel, chez nos voisins, appartenait à cette famille d'élite, dont la Porcia de Shakspeare, aussi vivante que celle de l'histoire, demeure à jamais le plus parfait modèle. »> Ce secret qu'elle implore A baigné de son sang le marbre de Pompée. Tel l'incendie attend, dans sa naissante rage, Que l'onde ou que le vent l'éteigne ou le propage. - Amis! concitoyens! je vous dois compte à tous, |