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« La galère où elle était assise, ainsi qu'un trône éclatant, » semblait brûler sur les eaux. La poupe était d'or massif, » les voiles de pourpre et si parfumées, que les vents venaient » s'y jouer avec amour. Les rames d'argent frappaient l'onde >> en cadence au bruit des flûtes; et les flots amoureux se pres» saient à l'envi à la suite du vaisseau. Pour Cléopâtre, il n'y » a point d'expression qui puisse la peindre. Couchée dans son » pavillon, sur un lit d'or et du plus riche tissu, elle effaçait >> cette Vénus fameuse, où nous voyons que l'imagination a » surpassé la nature à ses côtés étaient assis de jeunes et >> beaux enfants, comme un groupe de riants amours, qui agi>> taient des éventails de couleurs variées, dont les brises lé» gères semblaient colorer les joues délicates qu'elles rafraî>> chissaient... >>

Les grands crimes, produits par de grandes passions et entés sur de grandes qualités, sont la source légitime de la poésie tragique. Mais de l'extrême petitesse faire sortir un effet qui ressemble à la grandeur; de l'extrême fragilité faire sortir un effet qui ressemble à la puissance; réunir ensemble tout ce qu'il y a de moins substantiel, de plus frivole, de plus vain, de plus méprisable, de plus variable, et, de tous ces éléments de faiblesse, faire jaillir la grandeur et la force en s'élevant jusqu'au sublime, c'est ce qui n'appartenait qu'à Shakspeare. Cléopâtre est une brillante antithèse, un composé de contradictions, de tout ce que nous haïssons le plus, de tout ce que nous admirons davantage. Tout son caractère est le triomphe de l'apparence sur la réalité ; et cependant, tel qu'un des hieroglyphes de son pays, quoiqu'elle présente à la première vue une anomalie magnifique et embarrassante, il y a sous cette enveloppe mystérieuse un savoir profond, significatif et étonnant quand nous venons à l'analyser, et en expliquer le sens. Comment arriverons-nous à la solution de cette brillante énigme, dont la complexité éblouissante se joue continuellement de nous, et nous échappe? Ce qu'il y a de plus étonnant dans le caractère de Cléopâtre, c'est sa composition antithétique, sa consistance inconsistante, si je puis me servir de cette expression qui nous met dans l'impossibilité de la ramener à des principes élémentaires. Peut-être trouvera-t-on qu'au total la vanité et l'amour du pouvoir prédominent; mais ces qualités se combinent les

unes avec les autres, changent, varient, étincellent comme les couleurs sur la queue du paon.

Dans quelques-uns des caractères de femme de Shakspeare, aussi remarquables par leur complexité, Portia et Juliette, par exemple, on est frappé du sentiment agréable d'harmonie au milieu du contraste; l'idée d'unité et de simplicité y naît du sein de la variété. Dans Cléopâtre, c'est l'absence d'unité et de simplicité qui nous frappe; l'impression est celle d'un contraste perpétuel et inconciliable. La continuelle proximité de tout ce qui est le plus opposé dans le caractère, dans le sentiment, serait fatigante, si elle n'était pas si parfaitement naturelle, et la femme elle-même serait rebutante, si elle n'était pas si séduisante.

Il est bien certain que la Cléopâtre de Shakspeare est la véritable Cléopâtre de l'histoire. Les qualités de son cœur, sa grâce sans égale, ses ruses de femme, ses attraits irrésistibles, ce mélange de grandeur et de faiblesse, cette humeur intraitable, cette vivacité d'imagination, cette pétulance capricieuse, sa fourberie et sa fausseté, sa susceptibilité enfantine pour la flatterie, son esprit magnifique, son orgueil royal, ce caractère tout oriental, Shakspeare a saisi tous ces éléments contradictoires; il les a mêlés dans leurs extrêmes, et les a fondus dans une brillante personnification d'élégance classique, de volupté orientale, et, pour ainsi dire, de sorcellerie égyptienne. Quelle meilleure preuve pouvons-nous avoir de la vérité du caractère d'un personnage, que l'effet que produit exactement sur nous cette Cléopâtre de Shakspeare, comparé à celui de la véritable Cléopâtre. Elle éblouit nos facultés, embarrasse notre jugement, déroute et ravit notre imagination. Depuis le commencement jusqu'à la fin du drame, nous éprouvons une espèce de fascination contre laquelle notre imagination se révolte, et à laquelle nous ne pouvons échapper. Les épithètes qu'Antoine et autres lui appliquent, confirment cette impression: Reine enchanteresse! Magicienne! Sorcière ! grande Fée ! Basilic! Serpent du Nil! Charme tout-puissant! Ce ne sont là que quelques-unes de ces épithètes. Et qui ne sait pas par cœur le fameux passage où cette Circé égyptienne est représentée avec tous ses moyens de séduction infinis?

<< Calmez-vous, reine querelleuse, à qui tout sied: gronder, >> rire, pleurer: on dirait que chaque passion brigue à l'envi

» l'honneur de se peindre dans les traits de votre beau vi»sage. Point de disputes! Et ce soir, tous deux seuls, nous >> nous promènerons dans les rues d'Alexandrie, et nous nous » divertirons à observer les mœurs du peuple. »

L'ironie piquante d'Enobardus fait bien voir ses artifices de femme quand il dit, à l'occasion du départ projeté d'Antoine :

- «Au moindre bruit de ce dessein, Cléopâtre meurt, elle meurt aussitôt; je l'ai vue mourir vingt fois pour des motifs bien plus légers. >>

Ant. giner.

Enob.

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Elle est rusée à un point que l'homme ne peut ima

- Hélas, non, seigneur! Ses passions ne sont formées

que des plus purs éléments de l'amour. >>

Tout le secret de son pouvoir absolu sur le faible Antoine se voit dans ce peu de paroles:

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Cléop. — «Voyez où il peut être; qui est avec lui, et ce qu'il fait. N'ayez pas l'air d'être envoyée par moi.-Si vous le trouvez triste, dites-lui que je suis à danser; s'il est gai, annoncezlui que je viens de me trouver mal. Volez, et revenez.

Charm.-Madame, il me semble que si vous l'avez tendrement aimé, vous ne prenez pas les moyens de l'engager à vous rendre le même amour.

Cléop.

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- Que devrais-je faire... que je n'aie fait ? Charm. Laissez-le suivre en tout sa volonté ; ne le contredisez en rien.

Cléop.

Tu parles comme une folle; tu m'enseignes là le moyen de le perdre. >>

Cléopâtre est une femme consommée dans son art, et elle le sait bien. Quelle peinture de sa pétulance triomphante, de sa coquetterie impérieuse et souveraine dans ces mots qu'elle prononce :

« Quel temps tu me rappelles! O temps heureux! Je le >> plaisantais tout le jour jusqu'à lui faire perdre patience; la nuit >> suivante il souffrit mes plaisanteries avec plus de patience, >> et le lendemain, avant la neuvième heure du matin, je l'eni» vrai au point qu'il alla se mettre au lit : je le couvris de mes >> robes et de mes manteaux, et moi je ceignis son épée philip>> pine. >>>

Quand Antoine entre, plein de quelque sérieux dessein qu'il est sur le point de lui communiquer, la perversité et la brusquerie tyrannique avec laquelle elle le raille, en se moquant de son caractère, sont admirablement peintes dans ce passage: Cléop. « Je lis dans vos yeux que vous avez reçu de bonnes nouvelles. Que vous dit votre épouse?... Vous pouvez partir. Oh! je voudrais qu'elle ne vous eût jamais laissé la liberté de venir en Égypte!... Qu'elle ne dise pas surtout que c'est moi qui vous retiens je n'ai aucun pouvoir sur vous; Vous êtes tout à elle.

Ant. Les dieux savent bien....

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Cléop. Non, jamais reine ne fut si indignement trahie!... Mais n'avais-je pas pressenti d'abord ses trahisons?

Ant. -Cléopâtre!

Cléop.-Quand tu ébranlerais de tes serments le trône même des dieux, comment pourrais-je croire que ton cœur est à moi, que tu es sincère, toi, qui as trahi Fulvie? Quelle passion extravagante a pu me laisser séduire par ces serments des lèvres aussitôt violés que prononcés?

Ant.

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Ma tendre reine.....

Cléop. Ah! de grâce, ne cherche point de prétexte pour me quitter : fais-moi tes adieux, et pars. »

Elle recouvre sa dignité pour un moment, à la nouvelle de la mort de Fulvie, comme si elle était réveillée en sursaut: « Si l'âge n'a pu affranchir mon cœur de la folie de l'amour, » il l'a guéri du moins de la crédulité de l'enfance! - Fulvie » peut-elle mourir?>>

Ensuite, avec une moquerie pleine d'artifice, elle provoque Antoine pour savoir s'il regrette sa femme:

Cléop.

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« O le plus faux des amants! où sont les fioles sacrées que tu as dû remplir des larmes de ta douleur? Ah! je vois maintenant, je vois par la mort de Fulvie comment la mienne sera reçue.

Ant. Cessez vos reproches, et préparez-vous à entendre les projets que je porte en mon sein. Ils vont, ou s'accomplir ou s'évanouir, selon les conseils que j'attends de vous. Je jure, par le feu qui féconde le limon du Nil, que je pars de ces lieux, votre guerrier, votre esclave, faisant la paix ou la guerre au gré de vos désirs.

Cléop.Coupe mes nœuds, Charmiane, viens; mais non; - laisse-moi: je me sens mal, et puis mieux dans un instant : c'est l'image de l'amour d'Antoine!

Ant. Divine Cléopatre, épargnez-moi rendez justice à l'amour d'Antoine, que l'honneur met à une rude épreuve. Cléop. Fulvie doit me l'avoir appris. Ah! de grâce, tourne les yeux, et verse des pleurs pour elle; alors fais-moi tes adieux, dis-moi que ces pleurs coulent pour l'Égypte. Maintenant joue devant moi une scène de dissimulation profonde, qui imite l'honneur parfait.

Ant. Vous m'échauffez le sang..

-

Cessez.

Cléop. Tu pourrais mieux jouer encore; mais cet emportement est placé à propos.

Ant.

Je jure par mon épée !...

Cléop. Jure aussi par ton bouclier.

Son jeu se forme,

mais il n'est pas encore parfait. Vois, Charmiane, vois, je te prie, comme cet emportement sied bien à cet Hercule romain. >>

Puis, quand elle a raillé le général romain, et qu'elle l'a irrité au dernier point, elle reprend son ton doucereux et plein de tendresse qui lui assure le pouvoir qu'elle a essayé sur lui, et nous avons l'élégante, la poétique Cléopâtre dans ce bel adieu:

« Seigneur, pardonnez, puisque le soin de ma dignité me » déchire le cœur dès que ce soin vous déplaît. Votre hon>>neur vous rappelle loin de moi; soyez sourd à la pitié qui >> vous parle pour ma folie; que les dieux soient avec vous! Que >> la Victoire, couronnée de lauriers, se repose sur votre épée; >> marchez dans les doux sentiers du succès ! »

Plutarque nous apprend que le divertissement favori d'Antoine et de Cléopâtre était de courir les rues pendant la nuit, de s'amuser avec la populace d'Alexandrie, et qu'ils étaient accoutumés à vivre dans les termes les plus familiers avec les compagnons de leurs orgies. A ces traits nous devons ajouter qu'avec sa violence, sa perversité, son égoïsme et ses humeurs capricieuses, Cléopâtre était capable d'une affection vive, de sentiments tendres, ou de ce que nous appelons aujourd'hui un bon naturel. Elle était prodigue et généreuse pour ses favoris et ses serviteurs. On trouve, dans toute la pièce, des traits

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