Изображения страниц
PDF
EPUB

III

CORRESPONDANCE D'ITALIE.

LA DÉMOCRATIE EUROPÉENNE.— GARIBALDI, PRÊTRE ET PROPHETE.SON ODYSSÉE DANS LA HAUTE ITALIE. — LES ÉLECTIONS DU MOIS DE MARS. M. DIÑA. - LE DÉFICIT.

Florence, 1er avril 1867.

Notre siècle paraît destiné à d'étranges transformations. Pour l'œil qui sait voir, pour l'esprit qui sait réfléchir, au-dessous de l'ancien monde, au-dessous de l'ancienne société se développent parallèlement, pour ainsi dire, un monde nouveau, une société nouvelle dont la formation latente échappe aux observateurs inattentifs, aux penseurs distraits. Creusez un peu, et vous serez surpris d'apercevoir sous vos pieds des myriades de travailleurs qui minent, qui sapent, dont les pics et les pioches se meuvent presque sans bruit. Vous connaissez ces insectes dont la besogne secrète consiste à ronger intérieurement les bois de construction ils ont fini leur œuvre, que le propriétaire le plus vigilant n'a pas encore soupçonné leur présence; la bâtisse paratt intacte, et cependant elle va s'écrouler au premier choc : voilà l'état de l'Europe.

La démocratie coule à pleins bords! s'écriait M. Royer-Collard, il y a quarante ans. Que dirait-il aujourd'hui ? Elle ressemble à une mer sans limites sur laquelle surnagent encore trois ou quatre radeaux tout au plus, que le flot montant menace d'engloutir comme une dernière épave. Après, toût sera

dit. Le suffrage universel se comportera comme le déluge. L'Europe, ajoutent les optimistes, lessivée par lui, ressemblera à un vaste champ de blé dont chaque épi portera un grain nourricier. L'ivraie n'aura pas un pouce de terrain à occuper.

Savez-vous ce qui me fait monter au cerveau ce rêve apocalyptique ? C'est le mouvement réformiste en Angleterre ; c'est le fonctionnement du suffrage universel en Allemagne ; c'est enfin le voyage de Garibaldi, pendant les premiers jours de mars, à travers les provinces de la haute Italie. Les deux premiers faits ne sont pas de ma compétence; mais le dernier, encadré par les deux précédents, suffit pour motiver mon pronostic démocratique.

Garibaldi remue les masses avec une parole, avec un geste. Il y a en lui du Mahomet et du Savonarole. Il est soldat, prêtre et prophète. L'autre jour il a fait un baptême à Vérone, au nom de Dieu et du législateur Jésus. Précédemment, à Bologne, il avait prêché la loi agraire et proposé le partage des biens ecclésiastiques entre les plus nécessiteux 1. La situation de cet homme en face du gouvernement de son pays est un fait étrange. Il va, il vient, et sur ses pas les foules se précipitent. Les autorités municipales viennent faire acte de courtoisie devant ce souverain in partibus. C'est un Etat dans l'Etat. Il y a entre-croisement entre les deux puissances, celle de Garibaldi et celle de VictorEmmanuel. Superbe spectacle, s'écrient quelques naïfs, que cette attitude du gouvernement qui laisse à la liberté tout son jeu! Je le veux bien. Mais si cet encens capiteux que des milliers de thuriféraires brûlent devant lui venait à troubler la cervelle du héros ? Il est sur les confins de la monarchie et de la république. S'il franchissait la limite? Grave problème. La tranquillité de l'Italic, à l'heure qu'il est, dépend de la modération ou de la témérité de cet homme, d'un seul homme. Il a autour de lui un état-major républicain. Quel est son mot d'ordre? Rome. Ses aides de camp font courir le bruit qu'il

[ocr errors]

1 Sa doctrine se résume dans une religiosité vague et dans un socialisme hésitant. N'importe! que demain il prenne fantaisie au solitaire de Caprera de fonder une religion dogmatique, quelque chose qui ressemble soit au saint-simonisme, soit au communisme, j'ose soutenir qu'il trouvera en quelques jours un millier d'adhérents parmi ses compatriotes.

[ocr errors]

va venir au Parlement poser la question de Rome d'une manière solennelle. Et après? Comme si le sort de l'Italie dépendait de l'emplacement de sa capitale. Comme si les difficultés administratives et les embarras financiers devaient finir là. En vérité, il faut supposer que le bon sens fait complétement défaut aux souffleurs de ce grand acteur dévoyé, ou plutôt il ne faut jamais supposer chez autrui une stupidité gratuite et conclure que l'entourage de Garibaldi le pousse à la république, par le chemin de Rome, au risque de la guerre civile, au risque d'un second Aspromonte.

Par derrière, il ne faut pas être pourvu d'une perspicacité de lynx pour s'en convaincre, commande le deus ex machina, Joseph Mazzini. Et voilà comment nous autres, gens de la race latine, nous sommes faits quand nous avons la liberté, nous courons par une pente fatale à la licence, qui est l'antichambre obligée de la tyrannie.

:

Je reviens sur mes pas. Serons-nous ensevelis par le flot toujours montant de la démocratie, ou bien, contre-partie peu séduisante, l'Europe sera-t-elle partagée en trois ou quatre empires, organisés à la manière des maisons de correction pour les mineurs imprudents et coupables, plus imprudents que coupables? Evidemment, c'est à nos frais que va se faire cette grande expérience. Nous sommes destinés, nous la génération actuelle, à être broyés au profit de nos arrière-neveux. On va nous mettre dans une chaudière d'où nous sortirons immortels ou... consumés. L'humanité est un vieux Pélias qui a besoin d'être recuit pour rajeunir. Dieu veuille que Médée, la république ou l'empire, ne nous laisse pas trop longtemps sur le feu... Nous sortirions de l'épreuve à l'état de gélatine, bons tout au plus à servir de pâture aux harpies d'en bas ou aux aigles d'en haut, deux sortes d'animaux aux ongles et au bec également crochus.

Je souhaite de tout mon cœur que l'Italie se préserve de ces engouements dangereux qui font prendre un homme pour ce qu'il ne peut pas être, pour un dieu; qui poussent les peuples à considérer comme une providence un être dont le regard ne dépasse pas l'horizon ordinaire. L'Italie est pourvue d'un instrument admirable, le gouvernement parlementaire, à l'aide

duquel elle peut tout conquérir, tout ce qui est raisonnable... Mais les conquêtes véritablement utiles impliquent l'effort et la persévérance. À l'œuvre done!

La bataille électorale a été chaude. Garibaldi y a pris une part active. Il a patronné un certain nombre de candidats, et j'ai été très-étonné de trouver dans sa bouche la recommandation suivänte Electeurs de Chioggia, nommez Lorenzo Rebaudi; il est riche il sera indépendant. » Voilà une doctrine que ne dẻsavoueraient pas les tories les plus purs et dont il est impossible de méconnaître la sagesse. Les électeurs, s'ils étaient bien inspirés, devraient écarter les candidats besoigneux qui cherchent dans la députation un moyen de faire fortune. Il y avait parmi ces derniers plus de trois cents avocats, la plupart professeurs, sans compter les professeurs qui ne sont pas avocats ; un nombre fort respectable de médecins. Beaucoup de ces personnages ne viennent jamais au Parlement. Pourquoi choisir des individus qui sont forcés d'opter entre leurs affaires et celles du pays? Il y a en Italie beaucoup de propriétaires indépendants; pourquoi ne pas leur donner la préférence?

Un choix qui mérite tous les éloges, c'est celui qu'a fait le college d'Imola dans la personne de M. Dina, rédacteur en chef de l'Opinione. M. Dina est un publiciste hors ligne, qui lutte depuis vingt ans pour la liberté et pour le gouvernement parlementaire. Il a rendu de véritables services à l'Italie pár sa polémique ferme et modérée, et l'on s'étonnait à bon droit qu'un esprit aussi éclairé et aussi judicieux fùt tenu en dehors des délibérations parlementaires.

Les élections n'ont pas modifié sensiblement la force respective des partis dans la Chambre des députés. Ils se sont comptés à propos de la nomination du président. M. Mari, l'ancien président, candidat ministériel, a obienu 195 voix; M. Crispi, candidat de l'opposition, en a obtenu 142. C'est une majorité de 50 voix qui ne suffit pas pour gouverner. Aussi le ministère a-t-il fait déjà plusieurs tentatives pour se renforcer. On a cru un moment que M. Rattazzi, dont le discours prononcé à Alexandrie a produit une si grande sensation, allait prendre le portefeuille de l'intérieur, abandonné par M. Ricasoli, qui serait resté simplement président du conseil. Les négociations enta

mées dans ce sens n'ont pas abouti. On a parlé ensuite de M. Mordini et enfin de M. Sella. Le fait est que le cabinet Ricasoli ne peut pas affronter, tel quel, une opposition de 142 députés toujours présents, avec une majorité dont les principaux éléments ont peu de cohérence, et qui compte parmi ses membres des personnages dont le concours n'est que conditionnel, pour ainsi dire.

Quoi qu'il en soit, avant-hier 30 mars, les bureaux une fois organisés, le Parlement, sur la demande du ministère, a voté trois nouveaux douzièmes provisoires sur le budget de 1867, et cela sans discussion. La bataille ne s'engagera que sur la loi des biens ecclésiastiques.

Le ministre des finances, M. Depretis, avec une franchise qui l'honore, a confessé, il y a deux jours, dans une réunion particulière de députés ministériels, que la situation financière était on ne peut plus grave. Il a déclaré que le déficit était non pas de 185 millions, comme le prétendait M. Scialoja, mais bien de 310 millions, et qu'en ajoutant à ce chiffre déjà si considérable les impôts arriérés, il atteindrait probablement, à la fin de l'année, la somme formidable de 500 millions.

L'Italie n'a donc pas un jour, pas une minute à perdre pour sauver son crédit agonisant.

AUGUSTE AVRIL.

Post-scriptum.

Florence, 11 avril.

Une crise vient d'emporter le ministère Ricasoli. Il a été remplacé par un ministère Rattazzi dont voici la composition :

MM. Rattazzi président, intérieur;

Ferrara, finances;

de Revel, guerre ;

Pescetto, marine et affaires étrangères par intérim;

Giovanola, travaux publics;

Coppino, instruction publique;

de Blasiis, agriculture et commerce;

Tecchio, justice.

« ПредыдущаяПродолжить »