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VOYAGES.MŒURS.

LES VILLES D'HIVER DE LA MÉDITERRANÉE '.

I

Chaque fois qu'un Anglais quitte « son château,» —

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puisqu'il est convenu qu'un Anglais appelle ainsi sa maison, quelque modeste qu'elle soit, il n'oublie pas de redire : « Home, sweet home, autre expression qui traduit en anglais la dulcem domum des Latins. L'Anglais porte partout son amour sentimental du foyer domestique; mais l'Anglais n'en est pas moins plus nomade qu'aucun des sujets ou des citoyens de n'importe quel royaume ou quelle république d'Europe. On le rencontre partout, comme touriste et même comme résident. Partout aussi il a fini par imposer aux auberges, aux hôtels, aux maisons garnies, aux villas dont il devient le locataire, quelques-unes de ces habitudes de comfort qui motivent ses regrets d'exilé plus ou moins volontaire, lorsque le spleen ou la maladie, un docteur ou la mode lui ont ordonné un déplacement et un changement de domicile hors de son pays natal.

Le touriste anglais éprouve peut-être plus de déceptions qu'un autre quand il se décide à transporter ses dieux lares sous un ciel étranger, même sous le ciel de la belle France, qui n'est pas belle dans tous ses départements, ni à toutes les époques de l'année.

11. Collection des Guides et Itinéraires d'Adolphe Joanne. (Maison Hachette.) 2. De Paris à la Méditerranée, 2o partie. - 3. Letters from Cannes and Nice, by M. Maria Brewster.

Heureusement, grâce aux chemins de fer, sont bientôt franchies les distances entre le nord et le midi, l'ouest et l'est. La rapidité de la transition est un nouveau charme qui dédommage un peu le touriste des agréments (problématiques) qu'il trouvait dans les diligences et les malles-poste. La vérité est que l'on ne voyage plus depuis la substitution de la locomotive à la poste aux chevaux à peine parti, l'on est arrivé; les lieux intermédiaires sont supprimés presque totalement.

Forcé, par les circonstances, de courir sur les grandes routes dans une saison de l'année où les aubergistes ne sont point préparés à recevoir les voyageurs, j'ai eu, comme compensation, le plaisir de connaître, sous un aspect inusité, quelques-unes des villes qui deviennent en hiver, la résidence des invalides.

C'est en France que les villes d'hiver sont en plus grand nombre que partout ailleurs et plus variées d'aspect. Les unes sont baignées par les eaux calmes et bleues de la Méditerranée; les autres, par les flots agités de l'océan Atlantique; d'autres enfin sont situés au pied des sommets neigeux des Pyrénées. Le malade qui y a recouvré la santé en parle avec un enthousiasme qui peut paraître exagéré à celui dont l'état s'y est empiré; de là les jugements contradictoires portés sur le même lieu. Quant à moi, je suis heureusement dans la catégorie de ceux qui peuvent en parler avec toute l'impartialité d'une santé

robuste.

Il s'en faut qu'en aucune saison Paris soit un paradis, et le voyageur qui a laissé derrière lui l'atmosphère brumeuse de Londres y trouvera souvent encore ce brouillard que les Français prétendent être un produit exclusivement anglais; il lui arrivera même d'être transpercé par la pluie ou engourdi par le froid sur les bords de la Seine, tout aussi bien que sur ceux de la Tamise; mais il apercevra le soleil au moins une fois par semaine, tandis qu'à Londres, tout au plus si l'astre est visible une fois par mois.

C'est lorsque le touriste se dirige vers le sud, par le chemin de fer de Paris à Marseille, que le contraste avec l'Angleterre devient encore plus marqué. En été, le touriste y trouve tout l'opposé de ce qu'il cherche : l'éclat du soleil l'aveugle, la poussière l'étouffe. En hiver, au contraire, le soleil brille sans éblouir; l'air est tem

péré par l'humidité dont il est saturé, ou bien il est sec et vivifiant; enfin, les champs ont la teinte verte si délicate de l'herbe naissante.

A mi-route entre Lyon et Marseille, deux nouvelles essences d'arbres viennent déjà modifier l'aspect du paysage : le mûrier et l'olivier, les branches du premier encore dépouillées de feuilles, celles du second avec toute la luxuriance des siennes, d'un gris verdâtre; mais ce n'est toutefois qu'après avoir atteint Avignon que l'on rencontre les oliviers en grand nombre, et, là encore, les oliviers sont plutôt de gros arbustes que des arbres majestueux. Le voyageur ne séjourne généralement pas longtemps dans cette ville, dont le climat, plus doux que celui de l'Angleterre, est encore trop rigoureux pour les santés délicates. Mais la capitale de l'ancien comtat Venaissin, succursale de la Rome papale, mérite qu'on s'y arrête au moins quelques jours.

Avignon doit beaucoup au souvenir de Pétrarque et de Laure; mais la fontaine de Vaucluse leur doit davantage encore. Je recommande ce pèlerinage aux amants et aux poëtes; les philosophes et les historiens préféreront naturellement une visite au château dans lequel les papes tenaient leur cour; il est aujourd'hui converti en caserne. Je me propose de m'y arrêter en revenant.

Il n'y a pas, en France, de province qui réponde moins à l'attente du voyageur que la Provence. On est naturellement porté à croire que le berceau de la poésie du moyen âge doit être un nouvel Eden; aussi les personnes qui visitent cet Eden pour la première fois éprouvent-elles, la plupart, une impression analogue à celle que ressentit Victor Hugo lorsqu'il arriva chez Lamartine à Saint-Point. L'auteur des Méditations avait adressé à l'auteur des Orientales une invitation rimée; cette épître contenait une description minutieuse de l'habitation du poëte. Victor Hugo accepte, entreprend le voyage; il arrive; il jette les yeux de tous côtés, cherchant les « murailles crénelées, le manteau de lierre et les « pierres noircies par le temps, » qu'on lui avait annoncés. Il ne voit rien qu'une maison de construction moderne, badigeonnée d'un jaune sale et couverte de tuiles; de lierre, pas le moindre vestige. Victor Hugo s'imagine d'abord que le voiturier s'est trompé; mais Lamartine s'avance

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pour le recevoir; il n'y a donc point d'erreur. Victor Hugo prie alors son hôte de lui montrer la maison si poétiquement décrite dans son invitation. « Vous la voyez devant vous, répond Lamartine; je n'ai fait que la rendre habitable. Le manteau de lierre qui couvrait les murs la rendait humide et me donnait des rhumatismes; je l'ai fait enlever. Les pierres grises et les créneaux attristaient ma vue; j'ai fait abattre les créneaux et badigeonner la maison. Les ruines sont fort bonnes à décrire, mais non à habiter.» Tout cela est trop vrai, quoiqu'il faut que ce soit Victor Hugo qui le fasse dire à Lamartine pour nous faire croire que celui-ci l'ait dit si prosaïquement. De même, la Provence prête merveilleusement à la description en vers : c'est la patrie des troubadours, une autre terre promise, où coulent le lait et le miel; mais la métaphore m'a paru un peu forte, je l'avoue, malgré quelques oasis de ce poétique désert; je doute aussi que les Arlésiennes aient toutes le ravissant profil de celle qui entra dans notre wagon à la gare d'Avignon, et que j'aurais appelée Mireille si elle ne m'avait dit elle-même qu'elle s'appelait Jeanne. Il faut dire, pour être juste, que je traversai Arles de nuit, et que les belles filles des bords du Rhône n'étaient pas forcées de venir me prouver au clair de la lune qu'elles sont toutes dignes, comme Mireille, d'être chantées par Frédéric Mistral. J'y reviendrai avant de quitter le Midi.

J'ai vu Marseille de jour; mais il n'entre pas dans mon plan d'en parler, aujourd'hui du moins, quoique j'aie admiré la cité phocéenne dans sa rapide transformation. Marseille prétend surpasser elle-même la magnificence de sa Canebière par une rue Impériale, à laquelle je ne ferai qu'une objection, c'est que le mistral pourra s'y donner pleine carrière; — le mistral qui est plus redoutable encore que notre vent d'est. Si l'on veut échapper aux atteintes d'un vent si terrible et jouir cependant de la douce influence de ce climat privilégié, il faut suivre la côte, en se dirigeant vers l'Italie, et s'établir dans un de ces coins abrités par des chaînes de montagnes, baignés par les vagues bleues de la Méditerranée et visités par le soleil en hiver comme en été. On peut choisir entre Grasse, Antibes, Nice, Menton et Cannes.

Une colonie de riches résidents anglais s'est, depuis quelques années, fixée à Cannes, célèbre à un double titre : comme lieu de

débarquement de Napoléon à son retour de l'île d'Elbe, et comme résidence favorite du vénérable et inconstant lord Brougham. La ville primitive est petite et n'offre aucun intérêt. Elle occupe le centre d'un hémicycle, de chaque côté duquel s'élèvent des maisons détachées, la plupart entourées de jardins. J'ai remarqué une particularité assez rare sur cette partie du littoral: ni à Cannes ni ailleurs, sur les côtes de la Méditerranée, il n'est possible au promeneur ou au cavalier de fouler le rivage humide après que la mer s'est retirée; mais, en revanche, votre oreille n'est pas assourdie du bruit incessant de la vague le flot vient mourir, en écumant, sur le sable avec un murmure dont la monotonie même n'est pas sans harmonie. Enfin le groupe des îles Lérins, situé dans la baie, vient rompre l'uniformité de la plaine liquide, et l'eil s'attache surtout avec intérêt à l'île Sainte-Marguerite, prison de l'homme au masque de fer. Entre cette île et le rivage passent continuellement des voiles dont la blancheur paraît plus éblouissante, en raison de l'éclat d'un soleil qu'on ne soupçonne même pas en Angleterre, et qui forment un contraste avec l'eau, ici d'un bleu vif, là d'un pourpre foncé. Il se peut que le climat de Cannes ne soit pas aussi chaud que celui d'autres villes situées sur cette côte; mais Cannes offre aux convalescents et aux résidents frileux une promenade près du rivage, abritée contre le vent, où le voyageur qui arrive d'un pays froid oublie qu'on est au mois de janvier. Ce n'est pas la sensation de chaleur qui cause seule. l'illusion; mais de chaque côté l'œil découvre des jardins plantés d'arbustes en fleur, en même temps que l'odorat est agréablement flatté par les parfums qui remplissent l'air. On y voit surtout en abondance des rosiers couverts de roses à tous les degrés du développement, depuis le bouton à peine formé jusqu'à la fleur épanouie, dont chaque brise disperse les pétales odorants. Assurément le mortel fortuné qui passe la moitié de l'année en Angleterre et l'autre moitié à Cannes peut enfin se former une idée de ce printemps éternel dont on n'est appelé à jouir que dans les pages des poëtes.

Le chemin de fer conduit en une heure de Cannes à Nice. II est arrivé à cette ville ce qui arrive à un écrivain que des amis. enthousiastes ont proclamé homme de génie, tandis qu'il n'est 9. SÉRIE. -TOME 1.

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