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PRÉFACE

DE J. A. BUCHON.

C'EST en m'occupant à rassembler les matériaux d'une histoire littéraire de Portugal, que je conçus la première idée de publier une édition nouvelle de nos anciens chroniqueurs, et de Froissart en particulier. Étonné du talent réel déployé par les Archivistes historiographes portugais dès la fin du quatorzième siècle et dans le commencement du quinzième ; charmé de la franchise naïve de leur narration, de la dignité simple de leur style, de cet enthousiasme chevaleresque qui donne la vie à leurs modestes compositions, de cet amour ardent de la patrie qui peut seul constituer l'individualité d'une nation, et de cette bonne foi ingénue avec laquelle, sous les yeux du souverain qui les a choisis, ils tracent souvent les limites de ses droits d'habitude et font ressortir l'inviolabilité des libertés bourgeoises, je me demandois ce qu'à la même époque nous avions à comparer en France au vénérable Fernam Lopes, au créateur de l'histoire en Portugal. Froissart ne m'étoit alors connu que de réputation. La difficulté de manier les volumineux in-folio sous lesquels on nous l'a toujours présenté

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jusqu'ici fait de sa lecture une sorte d'étude ; et le Lafontaine des historiens, l'écrivain le mieux fait pour vivre dans notre familiarité, pour être le compagnon de tous nos instants, à tous les âges de notre vie, le conteur naïf des faits d'amour et de chevalerie du siècle le plus poétique de notre his toire, a été relégué dans les poudreuses bibliothèques, apprécié seulement de quelques amis patients du vrai beau. J'étois alors en Angleterre. En vain je cherchai à me procurer un exemplaire de l'original françois. Je fus forcé d'avoir recours à la traduction estimable mais décolorée qu'en a donnée Johnes, la traduction ancienne de Bourchier lord Berners, faite par l'ordre d'Henri VIII étant devcalle d'une rareté excessive.

Quelque pâle que soit la traduction de Johnes, elle peut cependant suffire pour faire pressentir ce que doit être le brillant coloris de l'original. A mon retour en France mon premier soin fut de me procurer un Froissart françois et je n'eus pas peu de peine à y parvenir, les exemplaires de cette chronique, imprimée toujours in-folio, étant aussi d'une assez grande rareté. La lecture de la chronique françoise répondit pleinement à mon attente. Les récits de l'historien françois sont sans doute moins animés du saint amour de la patrie que ceux de l'historien portugais Lopes, mais la position des deux pays et des deux hommes étoit aussi bien différente. Elevé dans l'état ecclésiastique et attaché au service d'un de

ces grands vassaux qui se disputoient les lambeaux de l'autorité souveraine, comment Froissart auroitil pu se former une idée bien juste de ce mot séduisant de patrie. Mais dans toutes les autres qualités qui constituent le grand historien, Froissart peut sans partialité être cité à côté de Fernam Lopes, qui est venu après lui et de J. Villani qui ne l'a précédé que de quelques années. Moins philosophe que ce dernier, et moins habitué à porter dans ses ouvrages cette connaissance profonde du cœur humain et des principes du gouvernement qui caractérise les anciens historiens italiens, il est aussi poëte que l'historien portugais et il offre à chaque page le reflet le plus vif des mœurs de son siècle.

Séduit davantage tous les jours par l'entraînement de son style, je ne pus résister à la tentation de faire partager aux autres le plaisir que j'éprouvois moi-même. Je commençai donc des études sérieuses sur le texte. Je lus tout ce qui avoit été écrit à ce sujet. Je consultai les manuscrits de Londres et de Paris. L'article ingénieux de M. de Barante dans la Biographie universelle m'apprit qu'il existoit un magnifique manuscrit de cette chronique à Breslau en Silésie, et que d'un autre côté M. Dacier avoit fait avant la révolution d'assez grands travaux sur Froissart, et qu'il avoit même commencé l'impression de l'édition qu'il se proposoit d'en donner lorsque la révolution étoit venue l'interrompre. Je

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profitai alors d'un voyage que je fis en Allemagne pour m'informer des autres manuscrits qui pouvoient y exister. La comparaison que je fis des imprimés avec les manuscrits me montroit chaque jour davantage la difficulté de mon entreprise, et je résolus de m'adresser à M. Dacier pour savoir positivement où il en étoit de son travail avant d'y avoir renoncé, et tirer parti de ses lupour Pédition que j'étois bien décidé à donner au public.

mières

Je me serois évité bien des fatigues si je me fusse adressé plutôt à l'excellent M. Dacier. Je trouvai près de lui tous les renseignements possibles sur mon historien favori. Tout me fut expliqué avec justice et précision; et j'appris non-seulement où il me falloit chercher mes matériaux, mais aussi où il étoit inutile de m'adresser. Ainsi tomba le prestige attaché aux deux plus beaux manuscrits de Froissart existants, celui de Breslau et celui de la Bibliothèque du roi à Paris tant vanté par Montfaucon. M. Dacier qui les connoît parfaitement tous les deux, ne les trouve remarquables que par leur belle conservation, la richesse des ornements et l'élégance de l'écriture. Quant à la correction et à l'exactitude du texte il les trouve fort inférieurs à plusieurs autres manuscrits moins célèbres.

Une fois en possession de ces premières données, je devins plus exigeant. M. Dacier paraissoit décidé à ne point mettre son travail au jour. Si l'important

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