Изображения страниц
PDF
EPUB

1

Adonc ( quand la reine et le dit comte de Kent ouïrent ces nouvelles, si se doutèrent (ils conçurent des craintes), car ils sentoient le roi hâtif et de diverse manière et mauvaise condition et leur ennemi si bien de luicomme il vouloit: si s'avisa la dame qu'elle se partiroit tout coyement (secrètement) et vuideroit le royaume d'Angleterre et s'en viendroit en France voir le roi Charles son frère, qui encore vivoit, et lui conteroit ses mésaises et emmèneroit son jeune fils Édouard aveclui voir leroi son oncle. Ainsi la dame se pourvey (pourvut) sagementet prit voie de venir en pélerinage à Saint Thomas de Canterbury et elle s'en vint à Winchelsea, et là de nuit entra en une nef appa

(1) Cet article jusqu'à l'alinéa suivant est fort abrégé dans les imprimés. Mais s'il est plus étendu dans les manuscrits, il n'est guères plus exact: à peine y trouve-t-on un seul fait qui soit véritable, excepté l'arrivée d'Isabelle en France. Il est faux 1o. qu'elle se soit enfuie d'Angleterre sous prétexte d'un pélerinage à St. Thomas de Canterbury. Elle passa en France du consentement de son mari pour négocier la paix entre les deux royaumes: il paroît même que ce fut la cour de France qui proposa le voyage, suivant une lettre d'Édouard II au pape, en date du 8 mars 1325. (Rymer, T. 2. Part. 2. P. 132.) 2o. La reine n'emmena point avec elle le jeune Édouard son fils. Elle négocia si heureusement en France qu'elle fit conclure un traité en date du 31 mai 1325 (Rymer, Ibid. P. 137), par lequel Édouard devoit venir rendre hommage à Charles-le-Bel dans un terme très court. Mais Spenser l'ayant détourné de faire le voyage, il céda à son fils le comté de Ponthieu et la Guienne et le fit partir le 12 septembre de la même année pour porter au roi de France l'hommage de ces seigneuries. (Rymer, Ibid. P. 143.)3o. Isabelle ne fut point accompagnée par le comte de Kent et par Roger de Mortimer: le premier étoit en France dès le commencement de l'année 1324 (Rymer, id. P. 102.), le second s'étoit échappé de la tour de Londres, où il étoit détenu prisonnier, vers la fin de juillet ou les premiers jours d'août 1323, et avoit quitté l'Angleterre pour passer en France, au plus tard le 14 novembre de la même année. ( Rymer, Ibid. P. 81, 82, 86, etc.)J. D.

reillée pour lui et son fils et le comte Aymon de Kent, et messire Roger de Mortimer; et en une autre nef mirent leurs pourvéances (provisions) et eurent vent à souhait et furent lendemain devant Prime (1) hâvre de Boulogne.

au

Quand la reine Isabelle fut arrivée à Boulogne, ainsi comme vous oïez, et son fils, et le comte de Kent son serourge (beau-frère), le capitaine de la ville et l'abbé et les bourgeois vinrent contre li (elle) et la recueillirent moult liement (joyeusement), et la menèrent en la ville et la logèrent en l'abbaye (") et toute sa route (suite); et y fut deux jours. Au tiers jour elle s'en partit et se mit à voie et tant chemina par ses journées que elle s'en vint à Paris. Le roi Charles

(1) Froissart a généralement adopté pour la désignation des heures de la journée la méthode de division ecclésiastique de Prime, Tierce, None et Vépres. Prime répond à la sixième heure du matin, c'est la première de la journée. Tierce parait marquer le temps intermédiaire entre le matin et l'heure de midi qu'il exprime ou par le mot midi ou par celui de None. Ensuite vient Vêpres ou la Véprée après laquelle il compte encore le minuit. Quelquefois il ajoute à ces diverses divisions les épithètes ́de basse ou de haute. Il dit encore à l'aube crévant pour signifier que l'aube du jour ne fait que commencer à poindre; au soleil resconsant ou esconsant pour exprimer le coucher du soleil; à la relevée pour le temps qui suit l'heure de midi; à la remontée, qui semble synonime de la Véprée pour le soir, le temps auquel le jour approche de son déclin. (Voyez La Curne de S.te Palaye, Mémoires sur Froissart.) J. A.B.

(2) L'église de Notre-Dame de Boulogne, après avoir été long-temps gouvernée par un évêque, fut réunie dans le VII.e siècle à l'évêché de Thérouenne. Au commencement du XII.e Eustache III, frère de Godefroy de Bouillon, à son retour de la terre sainte, fit embrasser la règle de St. Augustin aux chanoines de cette église qui devint alors abbatiale. Enfin après la destruction de Thérouenne, elle fut élevée de nouveau à la dignité de ville épiscopale: ce changement arriva l'an 1566. (Gallia christiana, T. 10. P. 1529. Hist. de Notre Dame de Boul. par Antoine Le Roi, P. 21 et suiv.) J. D.

*

son frère qui étoit informé de sa venue envoya contre li (elle) des plus grands de son royaume qui adonc étoient de-lez (près) lui, monseigneur Robert d'Artois, monseigneur de Coucy(), monseigneur de Sully (2) et le seigneur de Roye et plusieurs autres qui honorablement l'amenèrent en la cité de Paris et devers le roi de France.

(3)

CHAPITRE VII.

COMMENT LE ROI DE FRANCE REÇUT HONORABLEMENT SA SOEUR LA REINE d'AngleterrE; ET COMMENT ELLE LUI CONTA LA CAUSE DE SA VENUE.

QUAND le roi vit sa sœur que grand temps n'avoit

vue, et elle dut entrer en sa chambre, il vint contre elle et la prit par la main et la baisa et dit : « Bien venez mabelle soeur et mon beau neveu » (4). Lors les prit tous deux et les mena avant. La dame qui pas n'avoit trop grand' joie, fors de ce qu'elle se trouvoit de-lez (près) le roi son frère, s'étoit jà voulu agenouiller par trois ou par quatre fois au pied du roi son frère; mais le roi ne lui souffroit et la tenoit toujours par la main droite, et lui demandoit moult doucement de son état et de son affaire; et la dame lui en répondoit très sagement. Et tant furent les paroles menées qu'elle lui dit: « Monseigneur, ce nous

(1) On ignore s'il veut désigner Guillaume de Coucy ou Enguerrand VI son fils, qui vivoient tous les deux alors: ces seigneurs de Coucy descendoient des comtes de Guines. (Hist. gén. de la mais. de Fr. T. 8. P. 544. 545.) J. D.

(2) Henri IV, sire de Sully, issu de la maison des comtes de Champagne. (Ibid. T. 2. P. 857.) J. D.

(3) Jean II du nom. (Ibid. T. 8. P. 9.) J. D.

(4) Isabelle n'avoit point amené son fils, ainsi qu'on l'a remarqué cidessus. J. D.

va, moi et mon fils, votre beau neveu, assez petitement; car le roi d'Angleterre mon mari m'a prise en trop grand'haine, et si ne sais pourquoi, et tout par l'ennortement (conseil) d'un chevalier qui s'appelle Hugh Spenser (). Ce chevalier a tellement attrait monseigneur à soi et à sa volonté que tout ce qu'il veut dire et faire, il est; et jà ont comparé (éprouvé) plusieurs hauts barons d'Angleterre et seigneurs sa mauvaiseté(1), car il en fit sur un jour prendre et par le commandement du roi, sans droit et sans cause, décoler jusques à vingt deux, et par spécial le bon comte Thomas de Lancastre; de quoi, monseigneur, ce fut trop grand dommage, car il étoit prud'homme et loyal et plein de bon conseil,et n'est nul en Angleterre, tant soit noble ni de grand'affaire qui l'ose courroucer ni dédire de tout ce qu'il veut faire. Avec tout ce ilme fut dit en grande spécialité (secret) homme qui cuide (croit) assez savoir des conseils et traités du roi mon mari et du dit Hugh Spenser,

(1) La fin de ce chapitre manque dans les imprimés français et anglais.

(2) On avoit employé pour prouver au roi le mécontentement public un moyen fort singulier et qui représente assez bien l'époque. Un jour qu'il étoit à dîner dans la salle de Westminster, une femme pénètre à cheval dans la salle du festin, elle étoit vêtue comme les ménestrels, et après avoir fait, à leur manière, le tour de la table, elle présente une lettre auroi, tourna bride et partit, On blâma les concierges de l'avoir admise, mais ils alléguèrent que le roi n'étoit pas habitué à refuser aux ménestrels l'entrée de ses fêtes, on alla à sa poursuite et on l'attrapa. Elle avoua qu'elle avoit été envoyée par un chevalier. Ce chevalierquestionné déclara qu'il avoit employé ce moyen pour démontrer au roi qu'il négligeoit les chevaliers qui avoient servi lui et son père avec tant de fidélité tandis qu'il combloit de ses dons ceux qui n'avoient essuye aucune fatigue pour lui. (Voy. Trokelowe. P. 39 et 40). Ce que les chroniques du temps reprochent surtout à Édouard c'est de trop négliger ses nobles pour s'occuper des agriculteurs et des moines. J. A. B.

que on avoit grand'envie sur moi, et que si je demeurois au pays guères de temps, le roi par mauvaise et fausse information me feroit mourir ou languir à (avec) honte. Si ne l'ai-jemiedesservi (mérité), ni ne le voudrois faire nullement; car oncques envers lui je ne pensai ni ne fis chose qui fut à reprendre. Et quand je ouïs (entendis) ces dures nouvelles et si périlleuses sur moi et sans raison, je m'avisai pour le mieux que je partirois d'Angleterre et vous viendrois voir et montrer féalement, comme à mon seigneur et beau frère, l'aventure et le péril où j'ai été. Aussi le comte de Kent que la voyez qui est frère du roi mon mari est en autel (semblable) parti de haine comme je suis, et tout par l'émouvement et ennortement (conseil) faux de ce Hugh Spenser. Si m'en suis ci enfuie, comme femme égarée et déconseillée, devers vous pour avoir conseil et confort de ces besognes; car si Dieu premièrement et vous n'y remédiez, je ne me sais vers qui traire () (retirer).»>

minm

CHAPITRE VIII.

COMMENT LE noble roi CHARLES CONFORTA SA SOEUR, ET COMMENT ELLE ACQUIT L'AMITIÉ DE PLUSIEURS GRANDS SEIGNEURS DE FRANCE, QUI LUI PROMIRENT A LA REMENER EN ANGLETErre.

QUAND le noble roi Charles de France eut ouï sa sœur ainsi lamenter et qui de cœur et en pleurant lui

(1) Il est assez vraisemblable qu'Isabelle se plaignit des Spensers au roi son frère; mais elle ne put lui dire qu'elle s'étoit enfuie d'Angleterre, puisque Charles-le-Bel ne pouvoit ignorer qu'elle étoit partie du consentement d'Édouard et munie de pouvoirs pour traiter de la paix comme on l'a dit ci-dessus. J. D.

« ПредыдущаяПродолжить »