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M. de Sismondi à Lord Mahon.

Chesne, près Genève, 6 janvier, 1839.

Je n'ai point de honte de solliciter ainsi un présent,' et cependant je ne vous ai point offert le peu que je pouvais en retour. Ce n'est certes pas faute d'envie que vous me fissiez l'honneur de lire mes trois volumes des Sciences Sociales que j'ai publié dans le cours de ces trois aus, ou même mon précis de l'Histoire des Français que j'ai publié il y a un mois. Malgré l'indiscrétion d'accabler un homme d'Etat de mes cinq gros volumes, j'aurais pris cette liberté dans l'espoir que plusieurs de mes principes obtiendraient votre approbation; mais la rigueur des droits à l'entrée des livres en Angleterre fait qu'on n'ose charger aucun voyageur d'une telle commission.

Il y a certes dans l'état de toute notre politique Européenne quelque chose de bien décourageant et bien alarmant. On voit de toutes parts faiblesse et impuissance dans les Gouvernements et on n'entrevoit pas même la possibilité d'une issue. Peut-être vous, my Lord, dans la chaleur de la lutte en attribuez vous la faute aux hommes publics. Je suis plus disposé à remarquer ce qu'il y a de louable en eux, et en Angleterre et en France, où je les connais davantage, à rapporter l'impossibilité d'avancer à une circonstance fort nouvelle c'est, que dans tout (pays il ne reste plus que des minorités; aucune opinion, comme aucuns chefs de parti, n'ont pour eux la majorité. C'est, sans doute, la

1 A volume of his correspondent's History.

conséquence du progrès des discussions et l'augmentation même de la lumière. La raison humaine est tellement multiforme que plus elle s'exerce sur un sujet plus elle le voit se modifier selon l'individualité de chacun. La Religion soumise à l'examen ne reste point une, mais la foi de chacun se compose des vérités enseignées que chaque esprit à modifié selon sa portée et sa force de conception. De même le principe du pouvoir n'est plus ou celui du Droit Divin ou celui du droit populaire, mais chaque esprit capable d'examen a admis selon sa capacité plus ou moins de l'un, plus ou moins de l'autre. On range les opinions politiques sous cinq ou six divisions en France; vous en avez au moins autant en Angleterre, et dans chaque division encore les individus différent. Que peut faire un Ministère qui n'a derrière lui que le quart ou le cinquième de l'Assemblée, et qui pour se faire une majorité sur chaque question est obligé à transiger sans cesse avec des opinions qui ne sont pas les siennes, de s'abstenir quand il devrait agir, de faire toujours plus ou moins qu'il ne voudrait ? Abandonnera-t-il le gouvernail? mais ce serait sacrifier la patrie, car la parti qui s'en saisirait après lui ne formerait de même que le quart ou le cinquième de l'assemblée.

Nous éprouvons tous vos embarras dans nos petites républiques Suisses, et peut-être bien d'autres par-dessus le marché. Notre Pacte Fédéral, tout absurde qu'il était, marchait cependant lorsque le pouvoir directorial était confié tour à tour à la prudence de trois Sénats aristocratiques. Ces trois Cantons sont justement ceux qui ont éprouvé les révolutions les plus violentes;

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trois démocraties leur ont succédé, et deux d'entr'elles au moins sont fort corrompues. Aussi les gens sages Genève et ailleurs tendent non point à corriger ce Pacte, non point à fortifier le gouvernement fédéral, mais à l'affaiblir toujours plus par défiance des mains qui l'exercent. Les révolutions des autres Cantons n'ont pas amené au pouvoir des hommes plus sages, mais quand l'État est fort petit, que les places rendent fort peu, que l'ambition et la vanité sont peu flattées, la fermentation politique se calme assez vite, en sorte que les Cantons qui n'ont point de part au pouvoir directorial, ont retrouvé tant bien que mal l'ordre et la tranquillité. Restent les anciens Cantons démocratiques avec leur suffrage universel dès l'age de dixhuit ans. Ils n'ont pas changé en effet, mais il se sont étrangement corrompus. Dans les délibérations de Schwytz, on vend et on achète les suffrages publiquement sans honte, sans remords, excepté dans la guerre civile actuelle où par discorde entre les propriétaires des grands et des petits troupeaux, les hommes à corne et les hommes à pied fourchu se disputent le profit de leurs pâturages et ne vendent pas au dessous de son prix un intérêt tout pécuniaire. Ah! nous aussi nous n'avons que trop occasion de nous inquiéter et de nous affliger de l'avenir.

Pardon, my Lord, d'un si long bavardage; daignez n'y voir qu'une preuve nouvelle de ma confiance et de mon respectueux attachement.

J. C. L. DE SISMONDI.

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Vous êtes trop versé dans l'art d'écrire pour ne pas sentir combien a dû être fâcheuse pour moi l'obligation de rapetisser Henri IV. et Sully, que j'avais annoncé d'avance comme des héros dans l'histoire de France, et sur lesquels je comptais pour interrompre cette succession rébutante de crimes, de sottise, et de corruption, au travers de laquelle j'avais dû me traîner. Avant d'avoir étudié je conservais l'impression que m'avait laissé le rifaccimento de Sully par l'Abbé de l'Ecluse, un des livres le plus attachants que je connaisse, et qui a je crois le plus contribué à faire la réputation du grand Roi et du grand Ministre. Hélas! comme les Economies Royales' ressemblent peu à ce livre! C'est bien malgré moi je vous assure que j'ai dû perdre mes illusions.

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Le Journal de Lenet a un très-grand intérêt dans toute la partie qui est publiée, celle où il racontait la guerre de Claire Clémence de Maillé, dont il était le conseil et le vrai directeur. Mais lorsqu'elle signa la paix à Bordeaux, lorsque le Prince de Condé recommenca à la négliger et la mépriser, Lenet ne fut plus lui-même qu'un personnage fort secondaire, et je regrette moins de n'avoir pas vu la suite de ses Mémoires avant d'écrire l'histoire des guerres civiles qu'on

1 On the Economies Royales,' the Comptes rendus à l'Académie and the part which Sully really des Sciences Morales et Politiques, had in them, two very able essays, janvier et mars, 1871. by Mons. F. J. Parrens, appeared in

imprime dans ce moment. Je sens presque à toute heure que je devrais savoir, que je devrais connaître, des sources que je néglige dans cette histoire de Louis XIV.; mais il faut avancer et compléter mon œuvre, car c'est une chose bizarre à quel point tous les commérages de ce regne sont connus de tous, tandis qu'il n'existe nulle part une vraie histoire de France à cette époque.

Votre bien dévoué Serviteur,

J. C. L. DE SISMONDI.

M. de Sismondi à Lord Mahon.

Chesne, près Genève, 4 août, 1839.

Mais, my Lord, pourquoi en posant la plume, reservez vous pour l'usage de l'homme d'État ces expressions véhémentes, ce droit d'attaquer les sentiments, les talents, le caractère, de vos adversaires, auxquels vous renoncez comme historien? Pourquoi limitez-vous à un passé sur lequel nous n'avons plus d'influence cette belle leçon morale: "Let us earnestly resolve and strive to give every person and every party their due, and no more than their due." Je la crois essentielle au présent comme au passé, dans la vie active comme dans la contemplation. Je la crois nécessaire, surtout aujourd'hui, que le premier devoir du patriote c'est de ne pas affaiblir le pouvoir, de ne pas déconsidérer ceux qui s'efforcent de maintenir encore les liens relâchés de la Société. Qu'ils le fassent plus ou moins habilement,

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